You are currently viewing La mise en œuvre mitigée de la directive Nitrates (Partie 2)

Le rapport annuel 2022 de la Commission européenne sur l’application du droit de l’UE, avait souligné qu’en 2021, que l’environnement était le principal domaine dans lequel les procédures d’infractions restaient ouvertes à l’encontre des Etats membres[1]. Un des principaux motifs des procédures est l’échec de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates. Plus précisément, en matière de politique européenne de l’eau, la majorité du contentieux découle du non-respect de la directive « Nitrates ». Cela peut s’expliquer par la large marge d’appréciation des Etats membres en matière environnementale, mais également par la faible participation des Etats membres à la mise en œuvre de ladite directive.

Concernant l’inadaptation de la directive face à la large marge d’appréciation des Etats membres :

La directive « Nitrates » reste une règlementation affiliée à la politique environnementale de l’Union, même si elle remet en cause certaines méthodes de production agricole. Malgré le fait que cette norme n’a pas été adoptée dans le cadre de la politique agricole commune, « le lien de causalité entre la pollution des eaux par les nitrates et les excédents de nutriments dans les zones d’élevage intensif est clairement établi[2] ».

Cette approche environnementale a été choisi dans la mesure où elle laisse aux Etats membres, très réticents en la matière, une grande marge d’appréciation. Cependant, elle s’accompagne de nombreux problèmes tels que les retards dans la transposition, les mauvaises transpositions ou la mauvaise mise en œuvre de la directive par les Etats membres. Cela peut avoir un impact sur « les délais de mise en œuvre, les modalités d’applications, les restrictions diverses, voir l’adoption de modalités locales spécifiques[3]».

Cependant, de cette marge d’appréciation des Etats membres découle le fait qu’ils n’ont pas tous interprétés la définition des « eaux atteintes par la pollution » de la même façon, ce qui génère une application divergente d’un Etat à l’autre, qui peut mener à des abus. En effet, dans son rapport de 2021, la Commission désigne les Etats membres qui n’inclut pas certaines zones polluées ou susceptibles d’être polluées comme des zones vulnérables.

De surcroit, certains Etats membres, comme la Bulgarie, l’Espagne et la Hongrie, désignent des zones trop limitées comme zones vulnérables en omettant la zone de captage de l’eau. Dans le cas de l’eutrophisation des eaux, malgré le fait qu’il s’agisse d’une mesure de bon sens, le fait pour les Etats membres d’ajouter des mesures relatives à la fertilisation au phosphore, qui sont nécessaires lorsque les pertes de phosphore entraînent l’eutrophisation de l’eau, ne répond pas à l’objet de la directive « Nitrates ». De plus, parler du phosphore dans ce cadre ajoute à la confusion et complique encore plus la mise en œuvre de cette directive qui est déjà mal traitée par certains Etats membres. A la large marge d’appréciation des Etats membres s’ajoute leur faible participation à la mise en œuvre de la directive.

Concernant la faible participation des Etats membres à la mise en œuvre de la directive :

« Une fois de plus la Commission a dû subir les retards des Etats membres à soumettre leurs rapports nationaux. Les informations qui remontent sont d’ailleurs souvent partielles[4] ». Treize Etats membres (dont la France) n’ont pas fourni d’informations, en vue du Rapport, 2016-2019 de la Commission. Elle a dû se tourner vers Eurostat pour obtenir les bilans nationaux des nutriments, qui permettent de mesurer leurs pertes dans l’environnement. Cependant, les méthodes diffèrent selon les Etats ce qui fausse les données et certains Etats ne présentent même pas leurs bilans à Eurostat.

Ce qui peut expliquer le sentiment de faible participation des Etats, voire leurs « mauvaise foi », touchant de manière générale le droit européen de l’environnement est l’implication des entités infra-étatiques, des collectivités territoriales dans l’application du droit de l’UE qui varie en fonction du type d’Etat : unitaire, fédéral. Toutes les entités infra-étatiques n’ont pas les mêmes compétences en matière de droit de l’Union.

Cependant, l’UE ne connait que les Etats, donc quand elle condamne, elle condamne les Etats y compris lorsque la violation est imputable à une entité infra-étatique.

Dans le cas de la France, ce sont les collectivités territoriales (EPCI) qui ont un rôle majeur en matière de politique de l’eau. « La règlementation européenne fixe des seuils du niveau de nitrates. Si ce n’est pas respecté c’est la France qui est condamnée. Dans certains Etats fédéraux, les entités ont certaines compétences en matière de transposition des directives. Si un Land allemand ne transpose pas une directive c’est l’Etat Allemand qui est sanctionné. La violation d’une règlementation européenne n’est pas un motif pour l’Etat de se substituer à la compétence d’une entité infra-étatique[5] ». Le problème survient au sein même de l’Etat et ce n’est pas ce dernier qui est de mauvaise foi en ne voulant pas appliquer la directive, ce n’est tout simplement pas de son ressort. Aller à l’encontre de ses entités infra-étatiques, revient à aller à l’encontre de sa Constitution.

Même si de nombreux points négatifs ont été discutés dans le rapport de la Commission, cette dernière persévère et ne parle pas de révision de la directive. Elle préfère s’armer de nouvelles stratégies comme celle « De la ferme à la table » comme outils supplémentaires à la gestion des nutriments. Ces stratégies permettront de « traiter la pollution par les nutriments à la source, […] à accroître la durabilité du secteur de l’élevage[6] ».

La Commission reste confiante sur le fait que le seul moyen pour lutter contre la pollution par les nutriments est de se conformer le plus possible à la directive « Nitrates », et cela à travers les principes fondamentaux du droit de l’environnement : principe de prévention, principe de précaution, principe de correction, et principe pollueur/payeur.

[1] Laetitia Guilloud-Colliat, Cours : Défis environnementaux 2023

[2] Environnement – La directive nitrates, fer de lance émoussé du Pacte vert ? commentaire par Daniel GADBIN, Droit rural n° 500, Février 2022, comm. 39.

[3] Mouvements – Refonder la légitimité, l’unité et la cohérence de la PAC par l’environnement ? par Martin Bortzmeyer, Dominique Leblé et Joseph Ragaté, 2005/1 (no 37), pages 120 à 130

[4] Environnement – La directive nitrates, fer de lance émoussé du Pacte vert ? commentaire par Daniel GADBIN, Droit rural n° 500, Février 2022, comm. 39.

[5] Laetitia Guilloud-Colliat, Cours : Défis environnementaux 2023

[6] « La voie à suivre », rapport Commission 2021