Taxe d’enlèvement des ordures ménagères : le juge administratif étend encore un peu plus la latitude des collectivités quant à la fixation de son montant

Par un arrêt du 14 avril 2023 rendu en formation de chambres réunies et publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a poursuivi l’assouplissement de sa jurisprudence traditionnelle quant aux règles régissant les modalités de fixation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (ci-après « TEOM »). Cet arrêt est particulièrement important pour les collectivités puisque près deux tiers d’entre elles, représentant près de 90% de la population française, utilisent la TEOM pour financer leur service public d’enlèvement des déchets.

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De jurisprudence constante, les collectivités territoriales qui usent d’une TEOM pour financer leur service public d’enlèvement des déchets, sur le fondement des articles L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et 1520 du code général des impôts (CGI), doivent fixer son taux de telle sorte que le produit de la taxe ne soit pas « manifestement disproportionné par rapport aux dépenses exposées ».

En matière de fixation du montant de la TEOM, la jurisprudence de principe des dix dernières années était l’arrêt Auchan (CE, 31 mars 2014, n°368111). A l’époque, la Haute juridiction avait été relativement sévère en considérant qu’un excédent de 2,5% entre les recettes et les dépenses de financement était illégal. Progressivement, le Conseil d’Etat a desserré l’étau et offert une plus grande marge de manœuvre aux organes délibérants des collectivités exerçant la compétence « déchets ». La présente décision poursuit cette œuvre.

En l’espèce, une société propriétaire de locaux dans la commune de Sèvres contestait la TEOM à laquelle elle était assujettie. Estimant son montant excessif, elle a introduit un recours de pleine-juridiction devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise statuant en qualité de juge de l’impôt, tendant à ce qu’il en soit prononcé la décharge. Il faut à cet égard rappeler que le Conseil d’Etat admet qu’un montant de TEOM disproportionné entraine la décharge pure et simple de l’imposition (CE, 24 octobre 2018, n°413896).

Par un jugement n°2109950 rendu le 7 juin 2022, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit aux prétentions de la société requérante. Les dispositions de l’article R. 811-1 du code de justice administrative fermant la voie de l’appel au contentieux des impôts locaux, le ministre de l’Economie et des Finances s’est pourvu en cassation le 30 juin 2022 contre le jugement rendu en premier et dernier ressort. Ce pourvoi a donné l’occasion au Conseil d’Etat d’émettre des précisions sur le régime juridique des TEOM, d’une part à propos de la nature des dépenses pouvant être prises en compte pour juger de l’équilibre entre recettes et dépenses ; d’autre part à propos du niveau d’excédent admis entre les recettes et les dépenses.

En premier lieu, le juge administratif suprême a considéré que des « charges exceptionnelles de fonctionnement » pouvaient être assimilées à des dépenses réelles de fonctionnement au sens du premier alinéa de l’article 1520 du CGI, et de facto être prises en compte pour déterminer la proportionnalité des recettes tirées de la taxe par rapport aux dépenses engagées. Avec toutefois la réserve que ces charges ne doivent pas présenter le caractère de « dépenses d’ordre ».

En second lieu, les juges du Palais Royal ont estimé que des excédents de 13,84% et de 12,50% relevés entre le produit de la TEOM et les dépenses exposées pour financer le service d’enlèvement des déchets, n’apparaissaient pas manifestement disproportionnés. En censurant ces surplus de recettes réalisés au titre des années 2019 et 2020, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a donc commis une erreur de droit et son jugement est annulé.

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En statuant ainsi, le Conseil d’Etat a entendu permettre aux collectivités territoriales d’adopter des taux d’imposition de TEOM toujours plus élevés, servant à financer des dépenses toujours plus englobantes. Bien loin de les soumettre à un strict équilibre entre le niveau des recettes et le niveau des dépenses engagées, il opère de surcroît un revirement de jurisprudence par rapport à des arrêts qui n’admettaient qu’un léger déséquilibre. Reste toutefois à savoir jusqu’où le curseur de tolérance du juge administratif s’étendra, et notamment si un excédent de 15% que le Conseil d’Etat avait admis dans un cas d’espèce en 2018 (CE, 25 juin 2018, n°414056) pourrait à l’avenir être dépassé.

 

Source : CE, 9ème et 10ème Chambres réunies, 14 avril 2023, n°465403, Rec.

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