Le droit de vivre dans un environnement équilibré est une liberté fondamentale au sens du référé-liberté

Par un arrêt du 20 septembre 2022, Epoux C. contre Département du Var, le Conseil d’Etat a jugé que le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » constitue une liberté fondamentale au sens de la procédure de référé-liberté prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il s’agit d’une nouvelle démonstration de la judiciarisation croissante du droit de l’environnement.

Le juge administratif français est de plus en plus sollicité par des administrés, des associations voire des collectivités de recours tendant à contraindre certaines personnes publiques (l’Etat en tête) à mieux agir pour protéger l’environnement. Cette évolution est facilitée par la multiplication des textes, notamment européens et internationaux, régissant le droit de l’environnement. Mais philosophiquement parlant, les juridictions semblent plus sensibles qu’il y a une vingtaine d’années aux enjeux soulevés par ces recours. Des affaires récentes très médiatisées ont abouti à des condamnations de l’Etat, à l’image de l’arrêt Commune de Grande-Synthe[1] ou du jugement L’Affaire du siècle[2] concluant à sa responsabilité pour carence fautive face au réchauffement climatique. Par ailleurs, depuis 2008, le Conseil d’Etat accepte d’opposer des dispositions de la Charte de l’environnement à des actes administratifs[3] et il a élargi l’étendue de son contrôle en 2014[4]. C’est dans ce contexte d’importance croissante accordée aux normes environnementales que le juge administratif suprême a, au mois de septembre 2022, annulé une ordonnance de référé rendue par le Tribunal administratif de Toulon et admis pour la première fois la possibilité d’introduire un référé-liberté sur le fondement du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Pour rappel, le référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est une procédure juridictionnelle d’urgence créée par la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, tout comme les procédures de référé-suspension (article L. 521-1 du code de justice administrative) et de référé conservatoire (aussi appelé « référé-mesures utiles », article L. 521-3 du code de justice administrative). Le référé-liberté permet soit d’obtenir la suspension d’une décision administrative comme le référé-suspension ; soit d’obtenir la prescription de mesures provisoires en l’absence de décision administrative comme le référé conservatoire. Mais, à la différence de ces deux autres procédures d’urgence, l’introduction d’un référé-liberté oblige le juge administratif à statuer dans les « quarante-huit heures » : le requérant peut donc obtenir une décision extrêmement rapide alors qu’il lui faut attendre plusieurs jours voire plusieurs semaines dans le cadre des autres référés.

Revers de la médaille, les conditions de succès d’un référé-liberté sont plus strictes que celles requises pour un référé-suspension ou un référé conservatoire : tandis que ces derniers sont subordonnés à une situation d’urgence et à l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’action ou de l’inaction administrative, ce premier suggère, en plus de l’urgence, que le requérant démontre que l’action ou l’inaction administrative est manifestement illégale et qu’elle porte atteinte à une liberté fondamentale. Par conséquent, la procédure est plus courte mais il est plus difficile d’obtenir gain de cause. En l’occurrence, toute illégalité administrative n’est pas forcément de nature à attenter à une liberté fondamentale. La reconnaissance du droit de vivre dans un environnement sain comme une liberté fondamentale ouvre donc la voie à l’introduction de requêtes en référé-liberté contre des décisions administratives ou des omissions administratives qui le méconnaitraient.

Certes, ce droit est déjà protégé par l’article premier de la Charte de l’environnement de 2004, intégrée en 2005 dans le bloc de constitutionnalité français. Or, généralement, tous les droits et libertés protégés par la Constitution ou les conventions internationales sont qualifiés de « fondamentaux » par la doctrine. Cependant, s’agissant du référé-liberté, le juge administratif développe au fil de la jurisprudence sa propre liste de libertés fondamentales[5]. Dès lors, bien que les convergences soient nombreuses, il n’existe pas de superposition parfaite entre les normes et principes utilisés par le Conseil constitutionnel ou par le Conseil d’Etat dans le cadre de son contrôle « au fond », et ceux invocables devant le juge administratif du référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Si la présente décision constitue une avancée notable, il faut en nuancer la portée en ce que la Haute juridiction administrative a tout de même tenu à en encadrer strictement les effets. Ainsi, les requérants agissant sur ce fondement devront démontrer devant le juge que « leurs conditions de vie ou leur cadre de vie sont gravement et directement affectés » par la carence ou l’action de l’autorité administrative, ce qui circonscrit largement l’intérêt à agir et ferme la porte à des référés-libertés répétés émanant de multiples associations de défense de l’environnement. De surcroit, les membres du Palais royal ont précisé que le juge devait prendre sa décision au regard « des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente » et en veillant à ce que « la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ». Autrement dit, la marge de manœuvre du juge du référé-liberté en la matière demeure relativement réduite.

Sources :

Conseil d’Etat, référé, 20 septembre 2022, n°451129 ;

Conseil d’Etat, « Le juge administratif et le droit de l’environnement », Dossiers thématiques, 1er juin 2015 ;

B. Lasserre, Intervention au colloque « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges », 21 mai 2021 ;

L. Radisson, « Le droit de vivre dans un environnement équilibré constitue une liberté fondamentale », ActuEnvironnement, 21 septembre 2022 ;

E. Landot, « Le Conseil d’Etat publie sa propre liste des libertés fondamentales reconnues par le juge des référés-libertés depuis 2001 », Blog Landot avocats, 17 octobre 2022.

[1] Conseil d’Etat, 19 novembre 2020, n°427301

[2] Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, n°190496

[3] Conseil d’Etat, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, n°297931

[4] Conseil d’Etat, 26 février 2014, Association Ban Asbestos France, n°351514

[5] Voir cette liste citée dans E. Landot, « Le Conseil d’Etat publie sa propre liste des libertés fondamentales reconnues par le juge des référés-libertés depuis 2001 », 17 octobre 2022, https://blog.landot-avocats.net/2022/10/17/le-conseil-detat-publie-sa-propre-liste-des-libertes-fondamentales-reconnues-par-le-juge-des-referes-libertes-depuis-2001/

A propos de Valentin BLANCHARD