Projets éoliens et espèces protégées : le Conseil d’Etat rend un avis important

 

Par un avis contentieux du 9 décembre 2022[1] rendu sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat a répondu à deux questions posées par la Cour administrative d’appel de Douai. Ces dernières étaient relatives à l’obligation pour un pétitionnaire éolien de solliciter une autorisation de déroger à la législation sur les espèces protégées ainsi qu’à la délivrance de cette autorisation par l’administration.

Tandis que le Parlement débat actuellement à propos du projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, le juge administratif a précisé certains points du droit existant ayant trait aux autorisations de déroger à la protection des espèces protégées, notamment en matière d’implantation éolienne.

Le droit de l’environnement français pose, sous l’impulsion du droit de l’Union Européenne[2], un principe d’interdiction de porter atteinte (par des destructions ou des perturbations) aux espèces animales protégées[3] (principalement des mammifères et des oiseaux dont la liste est élaborée par décret pris en Conseil d’Etat). Toutefois, afin de faciliter la réalisation de certains projets, notamment parce qu’ils sont d’intérêt public, comme les installations d’aérogénérateurs, l’article L. 411-2 du code de l’environnement autorise sous certaines conditions la délivrance de dérogations à cette prohibition. La disposition prévoit notamment que cela est possible :

« a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

d) A des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;

e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens. »

Mais encore faut-il qu’il n’y ait pas de solution alternative satisfaisante à cette dérogation et que les espèces concernées soient maintenues dans un état de conservation favorable.

Les deux questions posées par la Cour administrative d’appel étaient en substance les suivantes :

1) Elle s’interrogeait sur le degré d’atteinte aux espèces à partir duquel une dérogation à la législation sur les espèces protégées devait être demandée par le pétitionnaire.

2) Elle s’interrogeait ensuite sur le fait de savoir si l’administration compétente devait, pour décider d’octroyer ou non la dérogation, prendre en considération les mesures d’évitement, de réduction et de compensation prévues par le pétitionnaire dans son projet.

S’agissant de la première question, la Haute juridiction répond en deux temps qui forment deux critères cumulatifs :

  • D’une part, l’obligation pour le pétitionnaire de demander une dérogation à la législation sur les espèces protégées lui incombe dès lors que des spécimens appartenant aux espèces protégées sont identifiés dans la zone du projet.
  • D’autre part, il ne doit être aucunement tenu compte du nombre de spécimens présents ou de leur état de conservation pour que cette obligation naisse. Il suffit que le projet en cause comporte un risque « suffisamment caractérisé» pour les espèces visées.

S’agissant de la seconde question, le juge administratif suprême précise les modalités d’appréciation de l’administration pour autoriser la dérogation :

  • En premier lieu, il appartient à l’administration d’apprécier les atteintes susceptibles d’être portées par le projet aux espèces protégées en tenant compte des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l’état de conservation des espèces.
  • En second lieu, le Conseil d’Etat rappelle que cette appréciation s’exerce sous le contrôle du juge administratif, ce qui implique que la décision d’accorder ou de refuser la dérogation peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Comme l’a rappelé l’avocat Arnaud Gossement[4], cet avis contentieux est particulièrement important car la jurisprudence entre les juges administratifs du fond était parfois relativement divergente en la matière. De surcroît, il intervient à une date immédiatement ultérieure à un arrêt rendu par la Cour de cassation[5] ayant dressé sa propre position sur l’application du régime de dérogation à la protection des espèces protégées ; de sorte qu’une partie de la doctrine y a vu une réponse de l’ordre administratif à l’ordre judiciaire[6].

Toutefois, l’avis du Conseil d’Etat n’étant pas d’une précision absolue, des zones d’ombre demeurent. Comment les juges du fond devront-ils interpréter la notion de « risque suffisamment caractérisé » ? Que recouvre la notion de « zone du projet » ?  Nul doute que la jurisprudence devra encore faire son œuvre pour encadrer ces problématiques.

 

Sources :

Conseil d’Etat, Avis contentieux, 9 décembre 2022, n°463563

Cour de cassation, Troisième Chambre civile, 30 novembre 2022, n°21-16.404

A. Gossement, « Dérogation espèces protégées : le Conseil d’Etat précise les conditions et la méthode de demande et d’octroi de la dérogation », Blog Gossement Avocats, 11 décembre 2022, https://blog.gossement-avocats.com/blog/environnement/derogation-especes-protegees-le-conseil-d-etat-precise-les-conditions-de-naissance-de-l-obligation-de-depot-d-une-demande-de-derogation-conseil-d-etat-avis-9-decembre-2022-association-sud-artois-pour-la-protection-de-l-environnement

E. Landot, « Dérogation espèces protégées : un important avis contentieux du Conseil d’Etat », Blog Landot Avocats, 12 décembre 2022, https://blog.landot-avocats.net/2022/12/12/derogation-especes-protegees-un-important-avis-contentieux-du-conseil-detat/

 

[1] Conseil d’Etat, Sect., Avis contentieux, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, n°463563

[2] Article 2 de la directive européenne « habitats » du 21 mai 1992

[3] Article L. 411-1 du code de l’environnement

[4] A. Gossement, « Dérogation espèces protégées : le Conseil d’Etat précise les conditions et la méthode de demande et d’octroi de la dérogation », Blog Gossement Avocats, 11 décembre 2022

[5] Cour de cassation, Troisième Chambre civile, 30 novembre 2022, n°21-16.404

[6] V. en ce sens E. Landot, « Dérogation espèces protégées : un important avis contentieux du Conseil d’Etat », Blog Landot Avocats, 12 décembre 2022

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