You are currently viewing Repenser le droit de la propriété en donnant des droits à la nature

Dans mon précédent article j’abordais la manière dont on passe, dans notre mix énergétique, d’une dépendance aux hydrocarbures à une dépendance aux minerais. Et plus précisément à l’uranium. A cela s’ajoute la mise en danger de certains écosystèmes par les activités humaines ; l’extraction minière et pétrolière ainsi que la surexploitation des sols et des ressources. Cette réflexion nous amène à nous orienter vers d’autres théories juridiques plus collectives afin de prendre davantage en compte la finitude des ressources planétaires mais également de repenser nos modes de consommation et d’appropriation. 

 

Il existe déjà différentes théories économiques qui s’attellent à remettre en question notre approche traditionnelle de la propriété. Certains auteurs, comme le biologiste Garrett Hardin, développent en quoi, selon eux, la gestion collective des ressources naturelles s’apprête à une « tragédie des communs » car la «propriété commune mène à la ruine». Cependant, d’autres comme Elienor Ostrom en 1990, s’orientent vers une gouvernance commune des biens. Pour ce faire, cette autrice appréhende le droit de propriété comme un faisceau de droits qui regroupe le droit d’accès et le droit de prélèvement variant selon la qualité des parties prenantes. 

 

Aujourd’hui nous allons nous intéresser à de nouvelles théories et réflexions juridiques qui s’attèlent à repenser la propriété en droit français au regard de la protection de l’environnement et de la biodiversité. Historiquement l’avènement du droit de l’environnement a bousculé de nombreux principes traditionnels et oblige ainsi les juristes à remettre en question certaines techniques et pratiques juridiques. C’est à cet effet que le droit des biens à du mal à intégrer les biens environnementaux dans la division classique des biens ainsi que leur aliénation. De nombreuses réflexions autour de la propriété privée émergent afin de créer un nouvel écosystème plus apte à répondre aux nécessités imposées par le changement climatique et la protection de l’environnement.

 

La notion de propriété, ou plutôt l’action de s’approprier une chose et de pouvoir en disposer librement, remonte bien avant la révolution française. Cependant, c’est avec cet événement qu’elle va se démarquer dans sa mesure de droit exclusif. Il s’agit de l’avènement de la propriété en opposition à la souveraineté. Le privé contre le public. Le Professeur et écrivain Rafe Blaufarb affirme que « la confusion de la puissance publique et de la puissance privée était la caractéristique même de l’Ancien Régime ». Il est alors question, en 1789  de séparer les prérogatives de puissances publiques des attributs de la propriété, qui désormais sera un droit naturel et imprescriptible de l’homme, selon l’article 2 de la déclaration des droits de L’homme et du citoyen. Ce droit est alors dénué de toute servitude publique, sauf exception (l’article 17 de la DDHC délimite ce droit par la nécessité publique légalement constatée et contre une juste et préalable indemnité.) Il est désormais considéré comme inhérent à l’homme par sa naturalité. C’est pourquoi certains juristes parlent même de sacro-saint droit de la propreté tant ce droit peut se définir par sa portée absolue sur la disposition du bien.

 

Le code civil français relate, en son article 544, que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». La propriété s’explique par l’appropriation que se fait l’homme d’un bien ou d’une chose qu’il fait sien dont il à la pleine propriété. Le droit de la propriété privée entérine sous cette perspective de pleine propriété trois types d’usages exclusifs dont dispose le propriétaire, il s’agit de trois attributs sur la chose. L’usus, qui confère le droit d’utiliser la chose, le fructus, qui consiste dans le droit de percevoir les fruits de cette chose et celui qui va tout particulièrement intéresser notre étude ; l’abusus, étant le droit de disposer juridiquement et matériellement de son bien. La disposition matérielle peut parfois même s’apparenter à un droit de destruction sur le bien et c’est souvent dans cette limite que le droit de la propriété à pu être abordé comme une tragédie dans la mesure où la propriété mène à la destruction du bien en question. 

 

En effet, observé sous un prisme anthropocentrique, la relation de l’homme sur la nature s’apparente à un rapport déséquilibré qui s’accompagne le plus souvent d’un mouvement d’appropriation de l’humain sur la biodiversité qui l’entoure. C’est sur la base de cette logique qu’il semble intéressant de s’interroger sur notre capacité à revoir et rééquilibrer le rapport humain-nature et leurs relations afin de préserver l’environnement et ses précieux attributs. 

En ce sens, un levier d’action est de soutirer des biens relevant de la catégorie des « biens communs » de la notion de propriété privée. 

 

Dans cette logique des initiatives juridiques émanent. En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité à mis en place l’obligation réelle environnementale. Cette obligation permet à un propriétaire soucieux de la protection d’un élément de biodiversité lors de sa cession, d’asservir le futur propriétaire d’un tel élément de cette obligation. Il s’agit d’un contrat par lequel le cessionnaire ou la personne qui vient à récupérer l’élément en question, s’oblige à respecter les conditions de préservation déterminées contractuellement pour une durée maximum de 99 ans. Cette nouvelle pratique est déjà reconnue par certains notaires, qui raisonnablement conseillent de prévoir des mesures de contrôles et de sanctions qui ne seraient ni excessives ni dérisoires. Marine Calmet, juriste et présidente de l’association Wild Légal dans revue Socialter n°60 affirme qu’il s’agit d’un « changement de positionnement vis-à-vis de la nature. Grâce aux ORE, les personnes peuvent intégrer qu’elles sont gardiennes d’un écosystème et non pas leur propriétaires ». Les notions de gardienne voire de tuteur semblent parfois plus appropriées tant elles considèrent qu’elles doivent s’occuper de la chose et en prendre soin, en agissant dans son intérêt. La Haute Cour de l’Etat d’Uttarakhand, en Inde du Nord avait attribué la fonction de « parent » à des secrétaires d’Etat en chef du Gange en tant que personne nécessitant protection. 

Depuis 1977, le droit français consacre un statut juridique à l’arbre en tant que « chose » ou « patrimoine » s’il est situé sur un terrain privé, ou encore comme un immeuble s’il se situe à côté d’un monument historique. Mais étant donné que les entreprises bénéficient de la personnalité morale, il est alors possible d’imaginer que, dans cette même logique, des écosystèmes, des rivières ou même des arbres en bénéficieraient également. Dans une interview du journal Libération du 1er janvier 2018, la juriste en droit international Valérie Cabanes « Les droits humains et naturels ne s’opposent pas, au contraire. De manière pragmatique, et un peu égoïste, les hommes ont tout intérêt à donner des droits à la nature, car en la préservant, ils se préservent aussi ».

 

Dans cette même logique un autre concept est né, celui de donner des droits à la nature. Il s’agit de l’entité naturelle juridique, elle permet de donner la personnalité juridique à des espaces naturels tels que des lacs ou fleuves. L’octroi d’une telle qualité va de paire avec la reconnaissance de droits fondamentaux qui les rend, dès lors, inappropriables car sujet de droits. De nombreux Etats comme la Nouvelle-Zélande, l’Equateur et l’Australie reconnaissent, devant les tribunaux officiels, la personnalité juridique à des écosystèmes, des animaux et des plantes, ce qui contribue à défendre leurs droits de vivre et de se régénérer. Cette attribution de droit permettrait ainsi que la nature ne soit plus perçue comme une entité passive à la merci des dérives.  

sources : 

A propos de Line Hinderer