« Dès le milieu des années soixante-dix, les inventaires de la qualité des eaux de consommation montrent un accroissement anormal du taux de nitrates dans les zones d’agriculture intensive ». Plus tard, une étude ordonnée par les ministres de l’Environnement et de l’Agriculture place l’agriculture comme la principale responsable de la pollution des eaux par les nitrates[1].
En réaction, le droit communautaire impose aux États membres de réduire la pollution par les nitrates d’origine agricole, à travers la directive (CE) 91/676 du 12 décembre 1991 sur la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Cela est paradoxal car les besoins alimentaires mondiaux ont tendance à entrainer l’intensification des pratiques agricoles, dont l’utilisation des fertilisants contenant de l’azote qui permet la formation de nitrate qui va, lorsqu’il n’est pas absorbé par les plantes, se retrouver dans les eaux.
Cette directive, surnommée directive « Nitrates », a pour objectif de réduire la pollution des eaux provoquée par les nitrates utilisés à des fins agricole et à prévenir toute nouvelle pollution. Elle impose aux Etats membres de désigner des zones vulnérables qui « alimentent les eaux douces superficielles ou souterraines, polluées par les nitrates […] ou susceptibles de l’être, ou encore les eaux douces ou marines atteintes par l’eutrophisation ou susceptibles de l’être[2]», d’adopter des programmes d’action dans ces zones et, lorsque c’est nécessaire, des mesures supplémentaires. La directive est spécifique aux nitrates car, étant très solubles dans l’eau, ils sont responsables pour l’eutrophisation durable qui entraine une dégradation de la qualité de l’eau.
La directive « Nitrates » fait partie intégrante de la directive 2000/60/CE, dite directive cadre sur l’eau et est liée aux autres politiques de l’Union en matière de la qualité de l’air, du changement climatique et de l’agriculture. Elle couvre donc toutes les zones où une augmentation des teneurs en nitrates a une origine agricole.
Le 11 octobre 2021, la Commission européenne a publié son rapport sur la mise en œuvre de la directive, durant la période 2016-2019, sur la base des informations fournies par les Etats membres. À cette occasion, la Commission a pu soulever les points forts et les points faibles de la directive. D’un côté, les agriculteurs nationaux de nombreux Etats membres considèrent la directive beaucoup trop sévère. D’un autre côté, la Commission considère dans son rapport qu’il faut aller encore plus loin dans la prévention de la pollution des eaux.
Il convient d’analyser la mise en œuvre de cette directive afin de constater la nécessaire révision de la directive « Nitrates ».
L’arsenal d’instruments non contraignants de la directive :
La directive « Nitrates » impose aux Etats membres la surveillance de tous les types de masse d’eau, afin de réduire ou de prévenir les pollutions par les nitrates d’origine agricole. Les Etats membres doivent ainsi délimiter des zones vulnérables là où les teneurs en nitrates dépassent ou peuvent dépasser 50 mg/l et où il y a un risque d’eutrophisation[3]. Ils doivent aussi établir un code de bonne pratique agricole, un programme d’action[4] applicable aux zones vulnérables et un programme de surveillance du programme d’action. Et tous les quatre ans, un rapport national doit être rendu à la Commission expliquant les actions mises en place, la cartographie des zones vulnérables et une estimation du délai de réaction des ressources en eau à ces actions. La Commission a aussi mis à la disposition du public et des Etats un Système d’information sur le programme d’action anti-nitrates (NAPINFO), afin de tenir informé les citoyens et aussi l’échange de bonnes pratiques entre les Etats membres.
De plus, la Commission explique que les nouveaux programmes écologiques bénéficieront d’un soutien financier pour récompenser les agriculteurs qui adoptent de bonnes pratiques environnementales, car le nitrate se trouve notamment dans les engrais chimiques, les effluents d’élevage, les boues de station d’épuration, les composts, etc.
De manière générale, la surveillance de la qualité de l’eau par les Etats membres s’est améliorée. Cependant, dans son rapport de 2021, concernant la mise en œuvre de la directive « Nitrates » durant la période 2016-2019, la Commission pose le doigt sur de nombreux problèmes. Premièrement, malgré le fait que la directive impose l’implantation de station de surveillance, il y en a beaucoup trop peu pour les eaux salines dans certains Etats comme la France et la Hongrie. Deuxièmement, il y a une divergence des paramètres d’évaluation entre les Etats membres. Par exemple, concernant les eaux douces de surface, « aucune tendance n’a pu être établie à l’échelle de l’Union […] en raison d’un manque de données et des différences de méthodes appliquées par les Etats membres[5] ». Le rapport NAPINFO montre « qu’il existe une variabilité importante entre les programmes d’action en ce qui concerne les mesures mises en œuvre et le niveau d’ambition de ces mesures[6] ». La Commission rappelle que les Etats membres peuvent apprendre les uns des autres, surtout lorsqu’ils ont des similitudes régionales.
De plus, elle considère que les programmes d’action actuels ne sont pas assez efficaces pour limiter les pertes de nutriments pendant et après les sécheresses ou les inondations.
Dans la partie 2, sera traité le contentieux lié à cette directive, la marge de manœuvre des Etats membres et leur manque de participation à la mise en œuvre de la directive.
[1] Rapp. S. Hénin, Activités agricoles et qualités des eaux, 1980
[2] Environnement – Directives nitrates : l’heure des sanctions financières, commentaire par Daniel GADBIN, Droit rural n° 485, Août 2020, comm. 135
[3] Article 3 Directive 91/676
[4] Article 5 Directive 91/676
[5] RAPPORT DE LA COMMISSION AU CONSEIL ET AU PARLEMENT EUROPEEN sur la mise en œuvre
de la directive 91/676/CEE du Conseil concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir
de sources agricoles sur la base des rapports des Etats membres pour la période 2016/2019, COM (2021) 1000
final, du 11 octobre 2021.
[6] bis