En octobre 2024, un accord inédit a été passé entre le géant du numérique, Google, et la start-up Kairos Power, pour l’achat de sept mini réacteurs nucléaires, afin de répondre aux besoins croissants et énergivores des centres de données dédiés à l’intelligence artificielle. Avant cela, Microsoft signait un accord avec Constellation Energy pour redémarrer un réacteur en Pennsylvanie, et Amazon a décidé de bâtir un data center à proximité d’une centrale nucléaire afin de décarboner. Cette tendance des géants de la Big Tech de se tourner vers le nucléaire s’explique par une hausse des besoins énergétiques et aussi une volonté de réduire leur empreinte carbone. Au fond, qu’en est-il ?
Une constance des besoins énergétiques qui requière l’usage durable du nucléaire
Au cours de la dernière décennie, le paysage numérique a profondément été étendu, renforçant la connectivité mondiale et accroissant notre dépendance aux clouds servers. Une dépendance propulsée par la démocratisation et l’accessibilité de l’IA générative (ChatGPT, Copilot …). Technologie dont la demande croissante, combinée à l’explosion du cloud storage, sont des phénomènes qui participent grandement au fonctionnement continu des centres de données, qui tournent et chauffent 24/24, créant ainsi un besoin énergétique constant.
Les centres de données (ou data centers) sont le domicile physique des serveurs en nuage, et fournissent la puissance nécessaire pour assurer la demande numérique de notre société actuelle (télétravail, IA, stockage de données). Une demande qui justifie que la construction de centres de données d’énergie ne vont cesser de croître d’ici 2030 selon un rapport de Synergy Research Group.
Une constance de la demande dont l’alimentation est extrêmement coûteuse en électricité et en refroidissement pour éviter la surchauffe (30 % à 40 % dans la facture énergétique). Une source d’énergie fiable et stable est donc nécessaire, ce que ne peuvent garantir les énergies renouvelables intermittentes (éolien, solaire), à l’heure actuelle.
En revanche, le nucléaire serait capable de répondre à ce besoin. Outre sa capacité à ne pas être impactée par des externalités, cette source d’énergie à faible émission de CO2 permettrait aux entreprises numériques de réduire leur dépendance aux combustibles fossiles. Une réduction qui conduirait à minimiser leur empreinte carbone, et ce, tout en assurant un apport énergétique constant.
L’alternative des Small Modular Reactor (SMRs) pour une décarbonation ciblée
Les mini réacteurs nucléaires ont une capacité électronucléaire pouvant atteindre 300 MWe, soit un tiers de la capacité à produire des centrales nucléaires traditionnelles (>700MWe). L’avantage de ces installations est qu’elles produisent quasiment autant, tout en occupant une taille réduite par rapport aux centrales traditionnelles. Elles peuvent aussi être transportées et assemblées directement ou progressivement — au choix — dans le lieu d’installation, en l’occurrence une application industrielle particulière (cf le cas d’Amazon).
Outre cette flexibilité et cette adaptabilité d’échelle, les SMRs génèrent moins de déchets radioactifs (10x moins qu’une centrale classique) en proportion à leur production d’énergie.
La problématique de la durabilité d’une union d’industries en croissance exponentielle
Bien que le nucléaire semble être la réponse adéquate à la question d’une industrie numérique interconnectée et aux besoins constants, il reste la question de cette croissance en demande énergétique. Rien qu’en France, et selon le pré-rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat, les émissions numériques de GES pourraient augmenter de + de 60% d’ici 2040, soit 6,7% des EGES nationales (contre 3% – 4% aujourd’hui). Une croissance significative qui, si elle se retrouve combinée à l’usage croissant du nucléaire comme seul moyen de décarboner, peut représenter un réel risque sanitaire et environnemental.
Bien que les SMRs produisent moins de déchets, si la production d’énergie future évolue concomitamment à la construction en hausse des datas centers, la question de la gestion de ces déchets radioactifs se révélera être un réel défi. La prolifération des risques radioactifs porterait une atteinte certaine à la sécurité et santé mondiale.
Par ailleurs, la question des déchets actuels des centrales classiques est un enjeu climatique de taille, qui ne ferait que croître et s’aggraver avec une telle alternative : celle du nucléaire au service du numérique.
Vers un modèle énergétique plus propre
Dans un but d’atteindre l’ODD7 à l’Horizon 2030, qui est de garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable, il apparaît essentiel de rendre cette union industrielle plus propre. Cela peut passer par une combinaison de l’utilisation du nucléaire avec des moyens plus durables comme l’encouragement aux énergies hybrides ou la cogénération (la production simultanée d’énergies différentes dans la même centrale). Ces alternatives pourraient maximiser les ressources énergétiques et ainsi éviter un usage unique du nucléaire. Mais ces solutions ne pourront être efficaces que si elles sont accompagnées d’une réelle prise de conscience de sobriété numérique de la part de tous, pour limiter en priorité la demande.
Pour en savoir plus :
https://www.iaea.org/newscenter/news/what-are-small-modular-reactors-smrs
Étudiante en Master 2 Droit et Gestion des Énergies et du Développement durable à Strasbourg