La commande publique s’insère dans un cadre hautement politisé de par ses principaux acteurs qui se succèdent aux gré des différents mandats électoraux. Présente tant dans les collectivités à taille humaine, que dans les grandes métropoles françaises, elle s’insère dans une stratégie politique de transition écologique et énergétique sous l’autorité suprême de l’urgence climatique. Ce contexte impose une accélération et une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux dans tous les pans de la société et l’économie de marché n’y échappe pas, bien au contraire. Par son positionnement stratégique au cœur des acteurs publics, la commande publique ne peut s’y soustraire. Elle se doit, dans un souci d’exemplarité et de modernité, d’être pleinement responsable dans l’exercice des achats publics.
Pendant longtemps le critère financier d’attribution des marchés publics détenait une place hégémonique dans le choix des offres présentées par les candidats. C’est au sein du code des marchés publics de 2001 que naît la notion d’offre économiquement la plus avantageuse.
Dès les années quatre-vingt certains pouvoirs adjudicateurs ont tenté, parfois en vain, d’inclure dans leur choix des offres des critères d’attributions sociaux ou environnementaux. Au fur et à mesure des législations, mais surtout des impulsions européennes, les clauses sociales et environnementales ont progressivement pris place. Tout d’abord de manière incitative, comme il était prévu par le code des marchés publics de 2006. Le maître mot de ces critères est leurs liens avec l’objet du contrat. Par exemple, la proximité géographique d’une entreprise (bien que permettant de réduire les émissions de GES) présente un caractère discriminatoire au détriment des entreprises plus éloignées, avait affirmé L’ancien ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi dans sa réponse n° 10874, JO Sénat du 21 janvier 2010 p. 130).
L’Union européenne à été un réel moteur dans la prise en compte du développement durable au sein des achats publics. Déjà depuis 1988 (1) est admis des clauses qui n’ont pas attrait à la capacité financière des candidats. En 2002 (2) c’est un critère environnemental qui est pleinement accepté. En 2004 (3) la CJUE met sur un pied d’égalité le critère environnemental vis-à-vis du critère financier. Le droit Français est cependant resté très réticent à cette intégration. Progressivement et conditionné au lien avec l’objet du contrat, certaines clauses environnementales ont pu voir le jour. Cette conception du meilleur achat et de facto de la finalité de la commande évolue en 2013 grâce à la jurisprudence du Conseil d’Etat Département de l’Isère. On remarque le début d’un changement de paradigme qui s’opère en faveur des évolutions sociales et environnementales. La vision classique du principe de neutralité empêchait toute immixtion de l’environnement dans des marchés dont l’objet lui est totalement étranger. C’est dans cette mesure que cette approche purement gestionnaire de la commande publique, va devoir laisser place à une approche plus stratégique empreinte d’une nouvelle appréhension du principe de neutralité. Les directives 2014/24/CE et 2014/25/CE du 26 février 2014 corroborent ce changement de paradigme récemment lancé. Elles placent sur le même plan l’ouverture à la concurrence et les objectifs environnementaux et sociaux. Désormais ces objectifs environnementaux et sociaux ne relèvent plus de « politiques secondaires » ou « horizontales » mais font parties intégrantes des objectifs du droit des marchés publics au même titre que l’ouverture du marché intérieur, qui se retranscrit par des dispositions spécifiques dans les directives. Elles admettent le recours aux éco-labels et au commerce équitable.
De manière générale, et pas uniquement concernant la passation des marchés publics, le cadre juridique français fait face à une inflation législative empreinte d’une tendance au verdissement qui irrigue l’intégralité de la commande publique. C’est tout un corpus normatif qui se concentre autour du développement durable et vient impacter les achats publics. Tout d’abord, la loi EGALIM 2018 (4) incite à favoriser l’achat local, bien que les principes fondamentaux de la commande publique y font obstacle en raison d’enjeux liés au favoritisme. Le législateur incite désormais à repenser notre rapport à l’environnement mais aussi notre appréhension des principes fondamentaux du droit public et ainsi à les mettre en corrélation. La loi ASAP de 2020 lui fait suite (5). Elle vient réévaluer les seuils de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de travaux et crée des dispenses justifiées par l’intérêt général. La même année, la loi AGEC (6) crée de nouvelles obligations concernant les clauses relatives à l’économie sociale et solidaire. Elle impose aux acheteurs un certain pourcentage d’achat de biens issus du réemploi ou composés de matières recyclées. La loi REEN de 2021 (7) s’attèle à planifier des mesures destinées à garantir le développement d’un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux. Elle poursuit ce qu’avait mis en route la loi AGEC en formalisant la prise en compte de l’indice de réparabilité dans le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.
S’il ya bien une loi a retenir, c’est la loi Climat et résilience de 2021 (8) qui offre des avancées notables. Tout d’abord, elle valorise les objectifs du développement durable en les plaçant à égalité avec les principes fondamentaux de la commande publique en créant l’article L.3-1 au code de la commande publique. Cet article parachève l’intégration du développement durable au sein des marchés publics. Il devient un objectif de la commande publique qu’elle doit satisfaire de manière globale tout comme elle satisfait par exemple le principe de transparence. Cependant, il convient de nuancer cette disposition de portée générale, car une partie de la doctrine reste sceptique concernant son impact concret positif sur l’environnement. Jusqu’à présent l’acheteur pouvait choisir librement les critères en fonction de l’objet du marché. Désormais les acheteurs publics ont l’obligation, à partir du 22 août 2026, de fixer au moins un critère portant les caractéristiques environnementales de la prestation qui est l’objet du contrat. Il y est décidé d’aller plus loin que dans la loi AGEC et c’est un choix politique assumé qu’opère cette évolution. Il s’agit de la prise en compte du développement durable dans la détermination du besoin grâce aux spécifications techniques qui devront désormais impérativement inclure des caractéristiques environnementales ou sociales. L’acheteur doit également intégrer des considérations environnementales dans les conditions d’exécution. Cette loi transforme l’obligation de prise en compte du développement durable, étant jusqu’à présent une obligation de moyen, en une obligation de résultat. A compter au plus tard du 22 août 2026, les marchés publics devront être attribués sur la base d’une pluralité de critères comprenant au moins un critère relatif aux caractéristiques environnementales de l’offre. Désormais cette loi souhaite favoriser les entreprises qui ont une politique RSE en prévoyant que les entreprises qui n’ont pas de plan de vigilance puissent être écartées de la passation du contrat. Mais la grande avancée de cette loi réside dans l’article 35. En effet, il supprime, au sein de la partie réglementaire du code la faculté de sélectionner des offres sur le critère unique du prix. Dorénavant, si les acheteurs souhaitent fonder leur choix sur un seul critère, celui-ci devra alors être le coût global, à condition que ce coût prenne en compte les caractéristiques environnementales des offres.
Pour clôturer cette inflation législative, la loi industrie verte publiée le 23 octobre 2023 s’aligne dans la continuité de la loi Climat et résilience avec trois propositions majeures venant accentuer l’environnementalisation de la commande publique. L’article 12 prévoit un nouveau cas d’exclusion des procédures de passation qui concerne toutes les entreprises « ne respectant pas leurs obligations de publication d’informations en matière de durabilité. Les acheteurs ont désormais la possibilité d’exclure de la passation les entreprises qui ne satisfont pas à l’« obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre prévue par l’article L. 229-25 du Code de l’environnement. ». Et pour finir, cette loi prévoit l’introduction automatique le 22 août 2026 à l’article L.2152-7 CCP d’une définition de l’offre économiquement la plus avantageuse comprenant des critères environnementaux, qualitatifs ou sociaux de l’offre. L’article sera ainsi modifié pour ne plus faire mentionner « sur la base du critère du prix ou du coût ». Ces modifications donnent la définition de l’offre économiquement la plus avantageuse ci-après « Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. Au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ». Cette nouvelle rédaction tend clairement vers une nouvelle manière de concevoir la commande publique. En instaurant l’obligation de prise en compte du coût social et environnemental dans l’achat public, le législateur supprime alors implicitement l’obligation de démontrer le lien entre l’objet du contrat et les critères de sélection. Les impacts environnementaux sont désormais intégrés à l’appréciation du meilleur achat.
(1)CJCE 20 septembre 1988 Gebroeders Beentjes BV contre État des Pays-Bas Affaire 31/87
(2)CJCE 17 sept. 2002 aff.C-513/99, Concordia Bus Finland Oy Ab c/Helsingin Kaupunki et HKL-Bussiliikenn
(3)CJCE EVNAG Wienstrom, du 4 déc.2003, aff.C-448/01
(4) loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans
le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
(5) loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
(6) loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
(7) loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.
(8) loi 2021 n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
(9) loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte