You are currently viewing Les enjeux de la fusion de l’ASN et de l’IRSN

 

Tout d’abord, la sureté nucléaire est définie, dans le code de l’environnement, comme « l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation […] prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets »[1]. Pour commencer, il sera vu comment cet élément central de la sécurité nucléaire est assuré en France. Puis les inquiétudes face à de récentes évolutions seront abordées. Enfin les réponses apportées feront l’objet d’une analyse. 

 

I. La sûreté du nucléaire : de la séparation à la fusion

  • La décision de séparation

L’accident de Tchernobyl en 1986 est un « choc dans l’opinion publique française »[2]. Il constitue, avec le rapport intitulé « La longue marche vers l’indépendance et la transparence »[3], le point de départ de la réorganisation du système d’expertise et de contrôle dans le but de rétablir la confiance.

Débouchant sur la création de :

  • L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en 2001[4]
  • L’Autorité de sûreté nucléaire (l’ASN) en 2006 [5]

L’IRSN : Il est présenté comme l’expert sur les risques nucléaires et radiologiques. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle ministérielle. Il consacre aujourd’hui 25% de ses moyens à son appui à l’ASN[6].

L’ASN : Cette autorité est souvent présentée comme le « gendarme du nucléaire ». Elle dispose de compétences consultatives, administratives, de contrôle et de sanction. Elle consulte les analyses et avis de l’IRSN et s’appuie dessus pour certaines décisions.

  • Le projet de fusion

Trois mois après le rejet par le Parlement de l’idée de fusion, le projet est relancé lors du Conseil de politique nucléaire[7] le 19 juillet 2023. Pour parvenir à cela, le gouvernement change de tactique, il n’est plus question d’une unification expresse, ici il s’appuie sur le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

L’objet est de « mettre fin à l’ambivalence »[8] de la gestion de la sûreté nucléaire française en fusionnant « l’autorité » et « l’expert » dans une Autorité indépendante en sûreté nucléaire et radioprotection (AISNR), selon le rapport de l’Opecst[9] publié le 11 juillet 2023.

Cette annonce, comme toutes décisions de changement, a soulevé des préoccupations.

 

II. La manifestation de multiples inquiétudes

  • Moins d’indépendance et disparition de missions

Un commentaire revient souvent : cette nouvelle structure serait à la fois juge et partie. Certains parlementaires s’inquiètent pour l’indépendance des avis rendus sur la sûreté nucléaire et pour la transparence des expertises.

Les salariés craignent la disparition de certaines activités. Le rapport parlementaire ne répond pas à cette inquiétide, selon les mots de François Jéfroy[10], délégué central CFDT et représentant de l’intersyndicale IRSN : « Pour nous ce rapport laisse complètement de côté la question de l’opportunité et de la faisabilité de cette fusion ».

  • Modification d’un système établi

Ce changement survient à un moment clé pour l’industrie nucléaire. Thierry Charles, l’ancien directeur général adjoint de l’IRSN, a exprimé son inquiétude : « Casser un système qui marche pour un système qu’on ne connaît pas, ce n’est souvent pas la bonne solution »[11].

Après avoir pris connaissance des griefs faits à cette fusion, il est pertinent de voir comment il y est répondu.

 

III. Les éléments de réponse

  • Une coopération préexistante et l’indépendance du collège de décision

Le rapport de l’Opecst revient sur la coopération actuelle ASN-IRSN. Malgré l’emploi du terme de « système dual », il y a une concertation permanente entre l’ASN et l’IRSN :

  • Le président de l’ASN siège au conseil d’administration de l’IRSN
  • L’ASN rend un avis sur les programmes de recherche de l’IRSN

Cela assure l’absence de séparation hermétique entre l’ASN et l’IRSN.

Concernant la coopération opérationnelle, il existe une logique de travail collaborative entre les deux organismes. Soulignant que « l’arbre de la séparation institutionnelle ne doit pas cacher la forêt de la coopération au quotidien »[12].

Le gage de la sûreté nucléaire est l’indépendance du collège de décision. Ainsi le rapport de l’Opecst précise qu’il est impératif que ce processus décisionnel soit préservé. Il est indiqué que : « la séparation la plus importante est peut-être déjà celle qui prévaut entre le collège de l’ASN et ses services d’instruction, plutôt que celle qui existe entre ceux-ci et les experts de l’IRSN ».

Enfin, le niveau de transparence actuel doit être préservé, en ce sens, « en cas de réorganisation, les expertises devront continuer d’être publiées à destination du grand public : au lieu d’être des expertises de l’IRSN, ces études seront simplement celles des services instructeurs d’une nouvelle autorité. »

  • Un atout pour relever les nouveaux défis

« Le système de contrôle et d’expertise paraît donc entrer aujourd’hui dans une ère nouvelle, qui tente de concilier sûreté nucléaire et nouveaux enjeux industriels. » [13] Cela a d’autant plus d’écho avec cette fusion vue comme une aubaine de gain d’efficacité :

    • Évitant les doublons
    • Fluidifiant les procédures dans le cadre de la relance du nucléaire

En effet, les différents nouveaux défis, comme l’adaptation au changement climatique, ne pourront être relevés qu’avec une mobilisation importante et constante de l’ASN et de l’IRSN. Un travail commun est nécessaire au suivi des risques et à la vérification des ordres techniques ou réglementaires dans des conditions de sûreté suffisantes.

  • Un investissement dans les ressources humaines

L’expert en sûreté nucléaire est une denrée rare. Une fois ce constat fait, il est cohérent que la relance de l’activité nucléaire et une réorganisation ne peuvent se réaliser que dans un contexte de croissance des moyens. Cela implique de conserver les effectifs de l’ASN et de l’IRSN, voire de les augmenter.

 

Conclusion

Cette fusion ne peut être faite dans la précipitation comme cela a été tenté. Elle impose une participation directe des acteurs concernés. Actuellement en phase transitoire, dix groupes de travail[14] ont été créés. Occupant beaucoup de ressources, la préparation de cette fusion occupe depuis déjà plus de trois mois des membres des deux organisations.

Les trois premiers mis en place abordent :

  • Le contrôle et l’expertise séparés du rôle de décision
  • La préservation des avis d’expertise et des décisions du collège
  • Les compétences en matière de recherche et d’expertise en sûreté nucléaire

Des points restent à éclaircir, il en va ainsi pour le calendrier, ou pour l’avenir de certaines missions telles que le pôle « Défense, sécurité et non-prolifération » de l’IRSN qui ne peut pas faire partie d’une autorité administrative indépendante. De nombreux enjeux sont en cause et la procédure actuelle tente tant bien que mal de les prendre en compte. Le nucléaire étant un sujet controversé, au cœur de débats passionnés divisant l’opinion, il n’est pas surprenant qu’il en soit de même pour la réorganisation de l’autorité chargée de la sûreté nucléaire.

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025108609

[2] https://www.sfen.org/rgn/la-riche-histoire-du-systeme-francais-de-controle-et-dexpertise-de-la-surete-nucleaire/

[3] https://www.calameo.com/read/0062964520a7b5caab603

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000579807 loi n°2001-398 du 09/05/2001 créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000819043  loi n° 2006-686 du 13/06/2006 relative la transparence du nucléaire  

[6] https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14138524_653908695edeb.commission-du-developpement-durable–m-jean-christophe-niel-dg-de-l-irsn-sur-le-projet-de-rappro-25-octobre-2023

[7] https://www.irsn.fr/actualites/cpn-confirme-volonte-gouvernement-davancer-dans-sens-creation-dune-grande-autorite

[8] https://www.publicsenat.fr/actualites/environnement/nucleaire-un-rapport-parlementaire-remet-la-fusion-de-lasn-et-de-lirsn-sur-la-table

[9] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ots/l16b1519_rapport-information.pdf Rapport sur les conséquences d’une éventuelle réorganisation de l’ASN et de l’IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection

[10] https://epst-sgen-cfdt.org/?p=35739

[11] https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/surete-nucleaire-pourquoi-un-projet-de-fusion-dans-les-instances-francaises-suscite-des-inquietudes_5669402.html

[12] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ots/l16b1519_rapport-information.pdf

[13] https://www.sfen.org/rgn/la-riche-histoire-du-systeme-francais-de-controle-et-dexpertise-de-la-surete-nucleaire/

[14] https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14138524_653908695edeb.commission-du-developpement-durable–m-jean-christophe-niel-dg-de-l-irsn-sur-le-projet-de-rappro-25-octobre-2023

Source image : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/opecst/actualites/reorganisation-de-l-asn-et-de-l-irsn-adoption-du-rapport

A propos de Louise MASSON