Le 28 septembre dernier, le préfet du Haut-Rhin a pris un arrêté prolongeant, pour une durée illimitée, l’autorisation donnée à la société des Mines de Potasse d’Alsace (MPDA) de stockage souterrain de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim. Cet arrêté a pourtant été suspendu par le tribunal de Strasbourg le 7 novembre 2023, qui a fait application, pour la première fois, de la jurisprudence sur la protection des droits des générations futures.
Un projet en fermeture
Mis en service en 1999, le site encadré par la société Stocamine était destiné au stockage souterrain de déchets ultimes de « classe 0 » (déchets particulièrement dangereux pour la France) et de « classe 1 » (déchets dangereux pour l’Alsace) dans les galeries des anciennes mines de potasse.
Ainsi, le projet initial prévoyait l’enfouissement dans les mines, qui se situent à plus de 500 mètres sous le niveau du sol et sous la plus importante nappe phréatique d’Europe, de 320 000 tonnes de déchets ultimes.
Un incendie qui s’est déclaré dans le bloc de stockage numéro 15 en septembre 2002, et qui a nécessité plusieurs mois afin d’être maîtrisé, a signé l’arrêt de ce projet. Ainsi, seulement trois années après sa mise en service, et avec environ 44 milles tonnes de déchets effectivement stockés, Stocamine a arrêté le stockage dans les galeries des mines.
Depuis, se pose la question de la fermeture définitive du stockage et de la meilleure maîtrise possible des risques.
« Une mine au service de l’environnement » ?
Dès 1996, le projet était présenté comme « une mine au service de l’environnement » (1). Avec une réelle volonté de monter un site « exemplaire en France », le projet se voulait économiquement avantageux pour la région, attractif pour le développement de l’industrie, tout en permettant une protection de l’environnement face à ses activités.
Rétrécissement des galeries, dégradation des contenants des matières stockées, risque d’infiltrations, nombreuses sont les problématiques aujourd’hui connues. Le risque majeur restant la contamination de la nappe phréatique rhénane. De nombreuses recherches menées par des bureaux d’études français, mais aussi allemand et suisse, ont mis en avant un important risque de pollution à long terme de la nappe phréatique.
Dès 2008, s’est alors cristallisé un débat autour de la fermeture après extraction des déchets ou de la fermeture par le confinement des déchets stockés. Cette question reste le centre des conflits actuels.
Bien qu’ayant entamé un processus d’extraction des déchets contenant du mercure depuis 2013, et après une consultation publique et de nombreuses oppositions régionales et transfrontalières prônant la possibilité d’extraction des déchets enfouis, la décision est toutefois prise d’autoriser le confinement définitif des déchets.
Synthétiquement, cette décision a mené à de nombreux recours judiciaires, notamment sur les capacités financières de MDPA de mener l’exploitation du site, mais le gouvernement a réaffirmé sa volonté d’opter pour la solution du confinement.
L’importance de la réversibilité pour les générations futures
Par un arrêté du 28 septembre 2023 (2), le préfet du Haut-Rhin a aussi confirmé cette prise de position en autorisant le confinement pour une durée illimitée des déchets stockés. Il a en effet considéré le confinement comme « la meilleure solution parmi les différentes alternatives », tout en prévoyant toutefois des obligations de surveillance des eaux souterraines de la nappe phréatique.
Dans un recours contre cet arrêté, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu provisoirement le confinement définitif en venant appliquer la jurisprudence sur la protection des droits des générations futures pour la première fois.
Jurisprudence récemment développée par le Conseil Constitutionnel (3) dans un recours concernant le projet Cigéo. Y avait été considéré que le projet était effectivement susceptible de porter atteinte à l’environnement, mais que les garanties de réversibilités prévues étaient suffisantes. La question de la réversibilité vise à garantir aux générations futures une liberté de choix afin qu’elles puissent satisfaire leurs besoins. Celles-ci doivent ainsi pouvoir décider de poursuivre ou non la solution de gestion de stockage.
Cette question de la réversibilité semble avoir été déterminante pour le tribunal de Strasbourg dans sa décision (4). Il estime en effet, qu’il y a un « doute sérieux sur la légalité de la décision de stockage des déchets pour une durée illimitée », notamment par un risque sur la question de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, mais surtout après avoir observé la question du possible déstockage et de l’impact du confinement sur les générations futures. L’avocat de l’association requérante Alsace Nature s’est réjoui d’une « première application de l’obligation pour l’Etat de prendre en compte dans ses décisions les générations futures ».
Bien que dans l’attente d’un futur jugement sur le fond, et d’un potentiel recours contre l’ordonnance de référé du tribunal administratif dans cette affaire, on peut déjà noter l’importance de l’évolution actuelle de la prise en compte des générations futures dans les contentieux climatiques.
En savoir plus :
(1) https://www.mdpa-stocamine.org/documentation/index.php/s/Z5jRK3bkj423ezN#pdfviewer
(2) https://www.haut-rhin.gouv.fr/Actualites/Enquetes-publiques/Decisions/2023-09-28-MDPA-a-Wittelsheim
(3) : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231066QPC.htm