L’arrivée de l’été est d’un point de vue général synonyme de fortes chaleurs. Mais ces dernières années, le phénomène tend à s’amplifier en raison du réchauffement climatique. Désormais loin de marquer la seule hâte de se rendre sur les bords des plages ou des piscines, les températures estivales sont source d’effets profondément néfastes pour l’environnement et la qualité de vie humaine. Au premier rang desquels un manque croissant d’eau, dû à l’insuffisance des pluies et à l’asséchement des nappes phréatiques. C’est d’ailleurs ce qui justifie la multiplication des arrêtés préfectoraux portant mesures de restriction de l’utilisation de l’eau concernant des activités données à des horaires déterminés.

Le Droit de l’urbanisme lui-même en subit les conséquences. Et pour cause, les territoires particulièrement sujets à la sécheresse peuvent-ils raisonnablement continuer à accueillir des ménages, qui sont autant de consommateurs d’eau supplémentaires ?

La question peut sembler provocatrice à l’heure où le développement du logement apparait nécessaire pour faire face à l’évolution démographique du pays (rappelons que la France était peuplée de 56 millions d’habitants en 1990 contre 68 millions aujourd’hui). C’est notamment ce qui a conduit les pouvoirs publics à accélérer les procédures urbanistiques. En 2017, lors de son discours de politique générale prononcé devant l’Assemblée Nationale, le Premier Ministre Edouard Philippe n’avait pas caché sa volonté :

« Pour construire de nouveaux logements, il faut simplifier les procédures, en particulier dans les bassins d’emplois les plus dynamiques. C’est pourquoi les procédures de permis de construire seront accélérées, les recours abusifs sanctionnés ».

Ces dernières années, sous l’impulsion du pouvoir politique et tout particulièrement grâce aux lois « ALUR » du 24 mars 2014 et « ELAN » du  23 novembre 2018, la voie de l’appel devant les Cours administratives d’appel a été fermée à tout un pan du contentieux des autorisations d’urbanisme (article R. 811-1-1 du Code de Justice administrative) ; l’exigence de démonstration de l’intérêt à agir des requérants, particuliers comme associations de défense de l’environnement, a été durcie (articles L. 600-1-1 et L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme) ; la possibilité d’invoquer des moyens contentieux tenant à des vices de forme et de procédure contre des documents d’urbanisme a été sévèrement encadrée (article L. 600-1 du Code de l’urbanisme).

Pour sa part, le juge administratif n’a en rien fait obstacle à cette ambition. Au contraire, il a lui-même dégagé depuis longtemps des techniques juridictionnelles lui permettant de voler au secours des constructeurs. Large usage de l’annulation conditionnelle ou partielle des permis, admission exponentielle des corrections apportées au permis en cours d’instance après sursis à statuer, multiplication des condamnations pour requête abusive en matière d’urbanisme…Il est clair que les pétitionnaires, soit qu’ils tentent de se défendre contre un recours en annulation de l’autorisation qui leur a été délivrée, soit qu’ils contestent une décision de refus ayant été opposée à leur demande de permis, sont de plus en plus protégés.

Toutefois, le développement urbain ne peut se réaliser sans limite. Des intérêts majeurs, tels que des exigences liées à la protection de grands sites écologiques ou à la sécurité et à la santé humaine, parviennent encore à prendre le pas sur une implantation immobilière déraisonnable.

Les principaux motifs de refus opposables à des demandes de permis d’aménager ou de construire sont bien connus des tribunaux et de la doctrine. Ils sont pour la plupart tout à fait traditionnels et traversent les époques : projet situé en terrain non constructible au regard du zonage du PLU (zone agricole, zone à risque d’inondation…), distances par rapport aux limites de propriété non respectées (article R. 111-19 du Code de l’urbanisme + règles spécifiques propres aux PLU), formes, matériaux et couleurs utilisés portant atteinte à l’aspect des lieux avoisinants (R. 111-27 du Code de l’urbanisme), implantation présentant des risques pour la sécurité ou la salubrité du public ou de l’habitant sur le fondement de l’article R. 111-2 (risque de feu de forêt à proximité du projet sans services anti-incendie dans un périmètre raisonnable, risque d’éboulement montagneux ou de mouvement de terrain, présence d’une canalisation de transport de gaz à quelques mètres, construction surplombée d’une ligne à haute tension etc. – voir par exemple CE, 27 mai 1977, Ministre de l’Equipement, n°97875 ; CE, 16 juillet 2014, Commune de Salaise-sur-Sanne, n°356643 ; CE, 26 juin 2019, M. A, n°412429).

Cependant, une motivation de refus plus originale fait dorénavant son nid. Celle consistant à faire obstacle à l’émergence de nouveaux logements en raison d’un accès insuffisant à l’eau pour les habitants. L’idée s’est, il y a quelques mois, répandue dans les communes du Sud de la France, et notamment celles du Var. C’est ainsi qu’au début de l’année 2023, les Communes de Bagnols-en-Forêt, Callian, Fayence, Mons, Montauroux, Saint-Paul-en-Forêt, Seillans ou encore Tanneron et Tourrettes ont par exemple annoncé refuser de délivrer tout nouveau permis d’aménager ou de construire pour une période de quatre ou cinq ans. Mais l’initiative a gagné du terrain : dans l’Hérault, en Gironde et même en Haute-Savoie où la Communauté de Communes de Rumilly a déclaré en mai 2023 renoncer à délivrer la moindre autorisation de construire jusqu’à la fin de l’année !

Il est pertinent de s’interroger sur le fondement légal qui sert de base à ces refus. Deux dispositions sont principalement utilisées par les maires pour les motiver.

Pour rappel, l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme bien connu des services administratifs de l’urbanisme énonce que :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Quant à lui beaucoup moins célèbre, l’article L. 111-11 du même Code prévoit que :

« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés ».

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, certains élus ont songé à invoquer les dispositions de l’article L. 2225-2 du Code général des collectivités territoriales aux termes desquelles :

« Les communes sont chargées du service public de défense extérieure contre l’incendie et sont compétentes à ce titre pour la création, l’aménagement et la gestion des points d’eau nécessaires à l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours. Elles peuvent également intervenir en amont de ces points d’eau pour garantir leur approvisionnement ».

Mais ce dernier texte, très général et ne se rapportant pas par lui-même aux politiques d’urbanisme, est un fondement jugé extrêmement fragile par la doctrine.

Devant le juge administratif, la combinaison des articles R. 111-2 et L. 111-11 du Code de l’urbanisme semble pouvoir justifier la légalité d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme en raison d’une pénurie d’eau. En effet, il est possible de considérer que d’une part, le manque d’eau au sein de la collectivité est de nature à porter atteinte à l’hygiène courante et surtout à la santé vitale des administrés, au sens de l’article R.111-2. D’autre part, l’autorité communale est en mesure d’arguer qu’il ne lui est pas possible, pour niveau d’eau insuffisant, de raccorder de nouvelles habitations au réseau public de distribution, au sens de l’article L. 111-11.

A cet égard, la Cour administrative d’appel de Toulouse a tout récemment admis que des moyens de desserte en eau insuffisants constituaient une argumentation « faisant mouche » en la matière :

« Il ressort des pièces du dossier que, lorsqu’il a été consulté sur le projet de la société Expert Immo, le service ” eau et assainissement ” de la communauté d’agglomération du Grand Narbonne a indiqué, par un avis émis le 8 juillet 2019, d’une part, que le terrain d’assiette du projet n’était pas desservi par les réseaux d’eau potable et d’assainissement et, d’autre part, que les deux réseaux en cause n’avaient pas une capacité suffisante pour assurer sa desserte » (CAA Toulouse, 21 février 2023, n°20TL03185).

Notons que c’est bien le caractère insatisfaisant de la desserte du réseau d’eau qui motive la décision, pas la sécheresse en tant que telle, même si en l’espèce c’est évidemment cette dernière qui causait cette première. De surcoît, il appartient en principe à la collectivité de prouver l’étendue des difficultés qu’elle rencontre face à la pénurie d’eau, et de démontrer que cette problématique fait effectivement obstacle à l’arrivée de nouveaux consommateurs d’eau.

Quelques années plus tôt, la Cour administrative d’appel de Marseille était allée dans le même sens :

« Le motif du certificat d’urbanisme négatif contesté validé par les premiers juges est tiré de l’insuffisance de desserte des terrains d’assiette du projet par le réseau d’eau ;

(…)

que si la requérante soutient qu’elle pourrait se raccorder au réservoir des Coches, d’une capacité de 25 m3, elle n’apporte pas d’élément de nature à le démontrer en se bornant à se prévaloir de débordements des réservoirs en période de fonte des neiges, et de la présence dans le secteur de nombreuses résidences secondaires, ce qui ne saurait exclure une pénurie d’eau en période estivale ; que par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont validé le motif de la décision, tiré de l’insuffisance du réseau d’eau qui suffit à justifier la décision en litige ; (…) » (CAA Marseille, 4 avril 2018, n°16MA04866).

Certes, une telle jurisprudence ne date pas d’hier puisque les juges nancéiens avaient déjà dégagé une solution tout à fait similaire il y a plus d’une décennie :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment d’une étude réalisée courant 2009 pour la commune de Cabanac-et-Villagrains, que celle-ci, confrontée à une insuffisance de la ressource en eau, s’est trouvée contrainte de prendre des mesures pour remédier à cette situation de pénurie ; qu’à ce titre elle a dû, en attendant que son réseau d’eau soit interconnecté avec celui de la communauté urbaine de Bordeaux, refuser les nouveaux permis de construire, n’étant pas en mesure d’indiquer dans quel délai une solution serait trouvée pour restaurer la capacité de son réseau d’eau potable ; qu’ainsi, à la date des décisions attaquées, à raison de l’insuffisance du réseau de distribution d’eau potable existant, le maire, qui était en l’espèce dans l’impossibilité de préciser dans quel délai et par quelle collectivité ou concessionnaire les travaux devaient être réalisés pour assurer la desserte du projet , était tenu de rejeter les demande » (CAA Nancy, 6 novembre 2012, n°11BX02569).

Néanmoins, le contentieux relatif à cette problématique était rarissime et demeurait sectoriel et temporaire il y a encore 10 ans. Seules quelques communes ici ou là, confrontées à des difficultés de réseau de distribution très passagères, se prévalaient de ces motifs de refus. Ce qui inquiète aujourd’hui est la constance et la multiplication de ces dossiers que le réchauffement climatique et la mauvaise gestion de l’eau sont sur le point d’engendrer. Si les refus s’étendaient sur le territoire, et si les maires pérennisaient cette entrave à la construction durant des périodes extrêmement longues telles que plusieurs années comme certains l’ont indiqué, l’atteinte portée à la continuité de la politique du logement en France s’avérerait plus que critique. En outre, des inégalités seraient créées entre les collectivités puisque les Communes de la moitié Nord de la France se verraient inciter à accueillir l’écrasante majorité des nouveaux ménages pour pallier aux carences de la moitié Sud, plus exposée aux sécheresses.

Aujourd’hui, le droit positif offre donc bel et bien les moyens aux maires, sous le contrôle du juge, de refuser d’accueillir des nouvelles habitations pour faire face aux sécheresses. D’ailleurs, il n’est pas impossible que la législation évolue à l’avenir dans la même lignée, de manière encore plus franche et directe. En effet, en novembre 2022, le Député Christophe NAEGELEN a déposé à l’Assemblée Nationale une proposition de loi visant à « préserver les ressources en eau des communes » ; en suggérant la création dans le code de l’urbanisme d’un nouvel article disposant que « le maire peut refuser l’octroi d’un permis de construire lorsque les ressources en eau atteignent un seuil de vigilance décrété par arrêté préfectoral, après avis du comité d’anticipation et de suivi hydrologique ».

C’est pourquoi il apparait évident que le pouvoir politique et le Conseil d’Etat seront tôt ou tard amenés à consacrer des « garde-fous » face à l’octroi d’une prérogative de refus d’autorisation potentiellement trop permissive à l’endroit des maires. A cet égard, des prémices paraissent déjà avoir vu le jour. Dans son arrêt n°412429 du 26 juin 2019, le juge administratif suprême a clairement affirmé qu’une décision de refus prise au visa de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme n’était légale que si la Commune démontrait qu’aucune prescription particulière assortie au projet du pétitionnaire ne permettait d’assurer les exigences de sécurité et de salubrité. Autrement dit, l’autorité administrative est tenue, avant de rejeter la demande, d’envisager des solutions alternatives de nature à, sans bouleverser l’économie générale du projet, lui permettre de voir le jour.

La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de préciser la teneur que pourraient revêtir ces prescriptions particulières afin d’envisager des installations en dépit des restrictions d’eau. Mais il y a fort à parier que de futurs projets pourraient par exemple être autorisés sous réserve d’être amputés d’une piscine voulue initialement par le pétitionnaire. Sans toutefois que ces mesures soient d’une efficacité certaine et durable, à l’heure où la consommation en eau d’un WC est de 10 litres par utilisation, où celle d’un lave-vaisselle est de 30 litres et où un seul bain suffit à gaspiller 200 litres d’eau.

Finalement, plutôt que d’être contraint de procéder, au cas par cas, à un arbitrage contentieux entre deux objectifs fondamentaux du développement durable, à savoir d’un côté garantir l’accès à l’eau aux habitants déjà installés sur un territoire donné, de l’autre permettre à de nouveaux ménages d’accéder au logement, il se pourrait bien que la seule solution qui vaille soit d’apprendre, enfin, tant individuellement que collectivement, à économiser notre ressource en eau.

Sources :

A. Louche, “Sécheresse et permis de construire ne font pas bon ménage”, Village de la Justice, 2023

E. Landot, “Pas d’eau, pas de permis ?”, Blog Landot Avocats, 23 juin 2023

M. Richard, “Ces communes du Var interdisent de construire pour manque d’eau”, Le Figaro, 1 er mars 2023

E. Julien, “Le manque d’eau oblige déjà plusieurs commmunes à limiter le nombre de constructions, Le Parisien, 2 mars 2023

A. Gossement, “Le maire ne peut pas rester seul en première ligne face au manque d’eau”, La Gazette des communes, 8 mars 2023

D. Gilig, “La pénurie de la ressource en eau peut-elle fonder un refus de permis de construire ?”, Revue Construction-Urbanisme, 1 er juin 2023

“Les maires peuvent-ils refuser un permis de construire au titre du manque d’eau sur leur territoire ?”, Le Courrier des maires et des élus locaux, 3 juillet 2023

Doctrine.fr

Légifrance.fr

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