You are currently viewing La gestion des déchets dangereux : le cas de la “poubelle toxique d’Alsace”

La gestion des déchets dangereux : le cas de la « poubelle toxique d’Alsace ».

Stocamine est un site de stockage souterrain de déchets dangereux, dont l’idée est apparue dans les années 1990. Durant sa période d’activité, de 1999 à 2002, ce site a accueilli près de 42 tonnes de déchets dangereux de classes « 0 » et «1 ». Les déchets de classe « 0 », en raison de leur dangerosité, ne peuvent être stockés qu’en souterrain ; Stocamine est le seul site accueillant des déchets de classe « 0 » en France. Les déchets de classe « 1 » peuvent être stockés dans une installation de stockage de déchets dangereux.

Ce projet a été initié en vue d’entamer la reconversion économique du bassin potassique lorrain, dont la fin d’exploitation était prévue pour le début des années 2000.

La potasse a été majoritairement utilisée pour produire des engrais pour l’agriculture, mais également dans l’industrie.

La période d’exploitation du site n’a été que de courte durée, car un incendie survenu en 2002 dans l’une des galeries de stockage a mis fin à son exploitation.

    • Le contexte particulier des années 1990

C’est à partir des années 1990, face à la fin progressive de l’extraction de potasse en Alsace, que naît le projet de reconversion du bassin potassique. L’idée est alors de transformer les mines de potasse en un centre de stockage de déchets.

Le plan cadre de reconversion du bassin potassique signé en 1996 prévoyait alors la fin de l’exploitation des mines en 2004 ; cette dernière a finalement pris fin plus tôt que prévu, suite à l’incendie survenu dans le site de Stocamine en septembre 2002.

C’est dans ce contexte qu’a été créée en 1991 la société « Stocamine », filiale des MDPA, chargée de l’exploitation du site de stockage.

C’est la mine « Amélie », rattachée à la commune de Wittelsheim dans le Haut-Rhin, qui a été choisie pour développer le site de stockage. Ce dernier était réalisé dans des galeries creusées à près de 600 mètres de profondeur, seulement une vingtaine de mètres sous la couche de potasse exploitée par les MDPA.

    • La création du site de stockage de Stocamine

Le projet initial était le reconversion des exploitations de MDPA en un centre de stockage des déchets de classe « 0 ». Le projet a rapidement inclus les déchets de classe « 1 ». En effet, la viabilité du modèle économique reposait sur le stockage de 40 000 tonnes de déchets par an, alors que les déchets de classe « 0 » ne représentent que quelques milliers de tonnes en France.

Le préfet du Haut-Rhin a pris, le 3 février 1997, un arrêté d’autorisation d’exploiter au titre des installations classées.

En l’espèce, le décret du 3 février 1997 autorise l’exploitation du site de stockage de déchets dangereux pour une durée maximum de trente ans. Cela signifie l’obligation pour l’exploitant de retirer les déchets au terme de la durée d’autorisation, sauf nouvelle autorisation.

Il convient ici de souligner l’aspect obligatoirement réversible du stockage.

L’arrêt autorise sur le site de Stocamine le stockage au maximum de 320 000 tonnes de déchets, avec un maximum annuel de 50 000 tonnes.

Cette autorisation ne vaut que pour des déchets dits « ultimes », que la loi du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux définit comme ceux ne pouvant plus être traités au regard des « conditions techniques et économiques du moment ».

    • Le stockage des déchets

La préparation et les travaux nécessaires à l’exploitation du site de stockage ont débuté dès la publication de l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation.

L’exploitation effective du site a débuté le 10 février 1999, avec la première livraison de déchets.

Entre 1999 et 2002, plus de 42 000 tonnes de déchets ont été stockés dans le site de Stocamine ; près de 19 000 tonnes de déchets de classe « 0 », et plus de 23 000 tonnes de déchets de classe « 1 ».

Le 10 septembre 2002 un incendie a éclaté dans le bloc 15 du site de Stocamine. Si le foyer principal de l’incendie a pu être éteint dès le 20 septembre 2002, l’ensemble des foyers de propagation n’ont pu être maîtrisés avant le 12 novembre 2002, soit deux mois après le départ de l’incendie.

Les différentes expertises menées ont démontré que l’incendie a pour origine le stockage de déchets non autorisés par l’arrêt préfectoral d’autorisation de stockage souterrain de 1997.

La Cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 15 avril 2009, a conclu que ces déchets non autorisés « sont bien à l’origine du développement des chaînes de fermentation et d’une décomposition ayant conduit à une élévation importante de leur température et à l’inflammation du méthane créée par la dite fermentation des matériaux combustibles et substances inflammables présents ».

C’est donc le non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral de 1997 qui est à l’origine de l’incendie.

L’incendie a eu pour conséquences l’arrêt de l’exploitation de stockage de déchets sur le site de Stocamine, mais aussi l’arrêt anticipé de l’exploitation des mines par la MDPA (six mois avant le terme prévu).

    • Déstockage partiel et logique de réversibilité

À la suite de l’incendie et de l’arrêt de l’exploitation du site de stockage, de nombreuses études ont été menées afin de décider de la suite des opérations.

Au regard des différentes études et expertises menées, la ministre de l’écologie de l’époque, Delphine Batho, ainsi que le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, ont arrêté leur décision sur un déstockage partiel de 56 % des déchets contenant du mercure et le confinement des déchets restants.

Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, s’est prononcée en août 2014 pour le déstockage de 93 % des déchets contenant du mercure.

Suite à la décision ministérielle de 2014, les travaux de déstockage partiel ont été menés entre 2014 et 2017 et ont permis le retrait de 1825 colis, correspondant à 2 379 tonnes de déchets.

Le choix d’un déstockage seulement partiel s’appuie aussi sur l’impossibilité d’un déstockage total, possibilité pourtant exigée par la logique de réversibilité sous-tendant l’arrêté d’autorisation d’exploitation du site.

Selon l’INERIS, la logique de réversibilité, dans le cas de stockage de déchets, repose sur trois conditions : la traçabilité des déchets ; la stabilité des contenants au fil du temps ; l’accessibilité des déchets.

Concernant la condition de traçabilité des déchets, le fait que l’incendie de 2002 se soit déclaré en raison du stockage de déchets non autorisés par l’arrêté préfectoral laisse supposer que la traçabilité des déchets n’a pas toujours été strictement respectée sur le site de Stocamine.

Concernant la condition de stabilité des déchets, il a été constaté une importante détérioration de certains contenants, notamment des big-bags. Cette détérioration relativement rapide des contenants laisse à penser que ces derniers n’ont pas forcément été conditionnés pour durer dans le temps, et garantir ainsi la logique de réversibilité du stockage.

Concernant l’accessibilité des déchets, le fluage du sel présent dans les galeries, correspondant à la déformation du sel sous l’effet de la pression , s’est révélé plus important que prévu. Il a aussi participé à la détérioration des contenants, évoquée ci-dessus.

Ce phénomène a grandement complexifié le déstockage des déchets, rendant leur accès parfois impossible, et a empêché l’entretien de certaines galeries de stockage.

En outre, ce phénomène a été accru, tant par l’incendie de 2002 ayant endommagé une partie des galeries que par l’eau vaporisée dans les galeries pour tenter d’éteindre le feu.

Tout cela a compliqué techniquement le déstockage partiel mené entre 2014 et 2017, si bien qu’aujourd’hui certains experts émettent des doutes sur la possibilité d’un déstockage futur à plus ou moins long terme en raison des conséquences du phénomène de fluage.

Il apparaît alors que la logique de réversibilité ne semble pas avoir été toujours pleinement garantie au cours de l’exploitation, et a été grandement compromise par l’incendie accidentel de 2002 et par une mauvaise estimation du phénomène naturel de fluage.

    •  La situation actuelle :

Par un arrêté préfectoral du 23 mars 2017, il a été fait droit à la demande de la société des MPDA, en date du 8 janvier 2015, de prolongation de l’autorisation d’exploitation de son site de stockage de déchets pour une durée illimitée.

En réaction, le département du Haut-Rhin, l’association Alsace Nature, la Commune de Wittenheim et la région Grand Est ont demandé devant le tribunal administratif de Strasbourg l’annulation de cet arrêté.

Par un arrêt du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a refusé l’annulation de l’arrêté du 23 mars 2017.

Cependant, dans un jugement d’appel en date du 15 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Nancy a annulé l’arrêté préfectoral du 23 mars 2017 qui autorisait l’enfouissement pour une durée illimitée les déchets dangereux encore stockés sur le site de Stocamine.

La cour administrative d’appel a motivé sa décision par le fait que la société des MDPA, société mère de Stocamine, ne justifie pas de « capacités financières la mettant à même de mener à bien l’exploitation illimitée » du site, et d’assumer « l’ensemble des exigences ».

Le ministère de la Transition écologique, en faveur d’un confinement définitif des déchets restants sur le site de Stocamine, estimant les risques humains et environnementaux d’un déstockage plus élevés que ceux d’un confinement, et pour qui l’annulation de la Cour administrative d’appel de Nancy ne remet pas en cause la décision de confiner les déchets mais porte plutôt sur l’insuffisance des capacités techniques et financières de la société des MDPA, a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Enfin, le gouvernement a tenté d’introduire au sein du projet de loi de finances pour 2022 un amendement, à l’article 165, autorisant l’enfouissement définitif des déchets et la reprise des opérations de confinement.

Le Conseil Constitutionnel par sa décision n°2021-833 du 28 décembre 2021 a censuré cet amendement, en tant que « cavalier législatif », estimant qu’il n’avait pas sa place au sein d’un projet de loi de finances car ne relevant pas du domaine budgétaire de l’État.

Ainsi, le dossier Stocamine reste encore ouvert.

A propos de Victor AUPETIT