Bien que la Commission européenne ait mis en demeure la France de recourir aux procédures de mise en concurrence dans le cadre du renouvellement de ses concessions hydrauliques, l’Etat a eu recours, successivement, à une multitude de dispositifs introduits dans le droit français afin de contourner cette obligation. La dernière stratégie connue, le « projet Hercule », renommé le « Grand EDF », est actuellement en cours de négociation avec la Commission européenne et aucune solution définitive n’est proposée à ce jour.
Une production d’énergie essentielle et garante de la souveraineté énergétique en France
La production d’hydroélectricité en France soulève des enjeux majeurs : elle représente une part importante dans le mix électrique français (elle est la 2ème source de production d’électricité et la 1ère source à partir des énergies renouvelables) et participe au développement économique local (tourisme, loisirs, finances locales, emploi, etc). Peu émettrice de CO2, elle s’avère être un outil incontournable de stockage d’énergie, dont les infrastructures sont amorties et dont le prix de production du kilowattheure est un des plus faibles actuellement.
Une évolution juridique sous le prisme du droit européen
L’Etat français est propriétaire des installations hydrauliques et en délègue la gestion via des contrats de concession pour les centrales dont la production représente une puissance supérieure à 4,5 MW (pour les plus petites centrales il s’agit d’un régime d’autorisation). Electricité de France (EDF), opérateur historique, exploite ainsi plus de 80% du parc hydraulique concessible [1] et des filières d’ENGIE exploitent les presque 20% restants [2]. C’est la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique qui pose le régime juridique des concessions sans toutefois prévoir de mise en concurrence lors de l’attribution de ces concessions. Celle-ci ne sera imposée que plus tard dans le cadre du décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008.
Si la production d’hydroélectricité repose sur des infrastructures appartenant à l’Etat, elle s’inscrit, en vertu du droit européen, dans un secteur pleinement ouvert à la concurrence et la Commission européenne veille au respect des règles de la concurrence lors de l’attribution des concessions hydroélectriques par l’Etat français. Cependant, les concessions en vigueur, ou déjà échues, n’ont eu de cesse que d’être prolongées [3] et cette absence de conformité au droit européen a entraîné plusieurs mises en demeure de la Commission européenne, toujours en instruction, dénonçant ce statu quo.
Une nouvelle stratégie nationale, entre incertitudes juridiques et blocage institutionnel
Le Gouvernement d’Edouard Philippe avait pensé une nouvelle stratégie pour tenter de mettre fin au différend en cours avec la Commission et garder la mainmise sur ses concessions hydrauliques : la création d’une entité en situation de « quasi- régie » par rapport à l’Etat et dont l’objectif serait de gérer les concessions hydroélectriques pour l’Etat. En effet, la « quasi-régie » permet à l’autorité concédante d’attribuer un contrat de concession sans procédure préalable de mise en concurrence moyennant certaines conditions (articles L 3211-1 et L 3221-1 et suivants du Code de la Commande publique). Il avait alors été demandé à EDF de repenser son organisation. Le « projet Hercule » est né. Renommé « Grand EDF », il vise à réorganiser le groupe en 3 structures :
- EDF Bleu (société mère),détenue à 100% par l’Etat, en charge de la production nucléaire, fossile et du transport.
- EDF Azur (filiale), détenue à 100% par l’Etat, en charge des barrages hydrauliques.
- EDF Vert (filiale), détenue à 65% par l’Etat, en charge de la distribution, commercialisation, des services d’efficacité énergétique et des nouvelles énergies renouvelables.
EDF Azur est présentée comme une filiale d’EDF dont l’Etat est l’unique actionnaire. Ainsi, le regroupement des concessions du groupe EDF au sein de la « quasi-régie » EDF Azur permettrait de contourner l’obligation de mise en concurrence.
Toutefois, dans un contexte d’élections présidentielles et du fait, également, d’une forte mobilisation des syndicats du groupe contre le projet, les négociations en cours avec Bruxelles ont été suspendues et le projet est toujours au point mort.
Et quid des autres opérateurs ?
La CNR et la SHEM sont toutes les deux titulaires de concessions hydrauliques échues ou dont l’échéance arrive bientôt et l’absence de prise en compte de leur situation a suscité des tensions. Tout récemment, une commission mixte paritaire, réunie jeudi 10 février 2022, est parvenue à un accord concernant la proposition de loi visant à prolonger et moderniser la concession du Rhône [4] détenue par la CNR. Après un dernier examen de la proposition de loi par les deux chambres, cette dernière se verra promulguée prochainement et permettra la prolongation de la concession jusqu’en 2041.
Néanmoins, concernant la SHEM, cette dernière ne serait pas concernée par le dispositif de « quasi-régie » et verrait donc ses concessions échues être les seules impactées par la procédure de remise en concurrence. Tenue à l’écart des négociations, la SHEM déplore toujours l’absence de solution trouvée pour son cas.
Anna FIEGEL
[1] En France, on compte 2500 installations hydrauliques dont près de 400 concessions hydroélectriques (elles représentent plus de 95% du total de la puissance hydroélectrique installée et 40 sont déjà échues) et 2100 installations soumises au régime de l’autorisation.
[2] La Société Hydro-Electrique du Midi SHEM (env. 3%), la Compagnie Nationale du Rhône CNR (env. 14%). Le reste est détenu par des petits producteurs indépendants.
[3] L’Etat français n’a eu de cesse de proposer de nouvelles modalités pour contourner la remise en concurrence des concessions : le regroupement des concessions hydrauliques, la prolongation des concessions moyennant investissements, le maintien des délais glissants, etc.
[4] Il s’agit d’une concession unique pour les barrages au fil de l’eau du Rhône dont le triple objet (production d’hydroélectricité, activités de navigation et irrigations) nécessite un traitement particulier.