You are currently viewing Industrie nucléaire française: vers un retour de la main-d’œuvre compétente ?
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Le mercredi 8 mai , à 14 heures, EDF annonce enfin le premier chargement de combustible dans le réacteur à eau pressurisée de Flamanville 3, officialisant ainsi le lancement tant attendu de la centrale.[1] Lancé en 2007, le projet aura accumulé un retard d’environ 12 ans, pour une facture ( désormais estimée à 19,1 milliards d’euros) dépassant de 16 milliards le budget prévu.[2]

Parmi les raisons de ce retard considérable, de nombreuses difficultés techniques, lors de la réalisation de soudures notamment. Le cas du chantier de Flamanville semble ainsi être révélateur d’un problème plus profond touchant l’industrie nucléaire française : la « perte de compétence généralisée » de la main-d’œuvre du secteur.

 

Une perte de la main d’œuvre qualifiée du secteur

Avant Flamanville, le dernier chantier de réacteur nucléaire à avoir été construit était celui de la centrale de Civaux, en 1991. Entretemps, aucun autre projet n’est lancé en France, soit pendant une durée de 16 ans. Lors de cette période, nombre de spécialistes du secteur sont partis à la retraite et n’ont pas été remplacés ; ceux qui restent ne peuvent développer et entretenir leurs compétences, faute d’activité.  On observe donc progressivement une perte de compétence généralisée de l’industrie nucléaire française, dont les effets se font ressentir aujourd’hui. Ces termes reprennent l’expression de Jean-Martin Folz, ancien PDG de PSA, qui en 2019 tire la sonnette d’alarme dans un rapport  remis au ministère de l’économie.[3]

Un autre facteur expliquant ce phénomène serait la perte d’attractivité du secteur dûe aux fortes oppositions au nucléaire dans l’opinion publique européenne, ébranlée par les catastrophes de Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Le renouvellement de la main d’œuvre et la formation de nouveaux talents est alors réduite, tandis que de plus en plus de pays frontaliers de la France décident de mettre fin à leurs programmes nucléaires (Allemagne, Italie, Espagne, Suisse, Belgique).

En France, le secteur du nucléaire garde un poids important : troisième filière industrielle, elle rassemble plus de 3 000 entreprises et 220 000 salariés ; mais certaines études révèlent que seuls 30 % des besoins du secteur seraient satisfaits dans certains métiers sous tension.[4]

 

Une industrie en voie de retrouver sa place ?

Au cours de ces dernières années, nous avons pu observer un changement de paradigme  sur la question du nucléaire, notamment suite à la guerre en Ukraine et la crise énergétique qui s’ensuivit.[5] En 2022, la Commission Européenne inclut le nucléaire dans la taxonomie verte de l’Union, facilitant ainsi les investissements des entreprises vers le secteur.[6] Le 27 mai 2024, le règlement NZIA (Net Zero Industry Act) est adopté ; il prévoit la création des « Net Zero Academies » , dont l’objectif est d’améliorer les compétences des travailleurs nécessaires au développement des industries «Net Zero» dans l’UE.[7] Le secteur du nucléaire est inclus parmi les industries bénéficiaires de cette mesure, et il pourra accueillir 100 000 apprenants dans les trois ans suivant la création d’une des académies spécifiquement dédiée à cette industrie.

La Commission soutient également le développement de l’Alliance Industrielle des petits réacteurs modulaires (ou SMR), une alliance inter-États visant à accélérer le déploiement des premiers projets de SMR en Europe. Dans son plan d’action, l’alliance prévoit entre autres d’identifier les secteurs précis de la chaîne d’approvisionnement du nucléaire souffrant d’un déficit de compétence, pour permettre aux États de plus facilement combler ceux-ci, par exemple grâce aux fonds du programme de recherche et de formation d’Euratom[8].

Ces mesures accompagnent différentes initiatives privées de formation et d’insertion professionnelle dans l’industrie nucléaire, comme celle proposée par l’entreprise française ENGIE[9]. A l’occasion d’un événement médiatique organisé par EDF, Fortum et Vattenfall à Bruxelles, les industriels du secteur ont également appelé les universités à rouvrir des programmes académiques autour des métiers du nucléaire, nombre d’entre eux ayant disparu il y a 10 – 20 ans.

D’après la SFEN (Société française d’énergie nucléaire), il faudrait créer 8 000 emplois par an pour répondre à l’ensemble des besoins réels du secteur. L’industrie a donc encore du chemin à parcourir avant de redevenir le fleuron national. Mais les choses avancent ; selon Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur et présent lors de l’évènement, « la dynamique est lancée ; nous devons l’exploiter à bon escient ».[10]

 


[1] Comment se déroule le démarrage de l’EPR de Flamanville, qui vient de commencer ? (lemonde.fr)

[2] Les dérapages de l’EPR de Flamanville en graphiques : le coût multiplié par six, la durée du chantier par quatre (lemonde.fr)

[3] Remise du rapport de Jean-Martin Folz « La construction de l’EPR de Flamanville » à Bruno Le Maire et à Jean-Bernard Lévy | economie.gouv.fr

[4] Métiers & secteurs en tension 2022 : les BMO du nucléaire (wayden.fr)

[5] Un retour en grâce du nucléaire dans l’opinion publique européenne? Quelques éléments sur un changement rapide de paradigme (robert-schuman.eu)

[6] Taxonomie : l’UE accorde officiellement le label vert au nucléaire et au gaz – Euractiv FR

[7]  Net-Zero Industry Act – European Commission (europa.eu)

[8] European Industrial Alliance on Small Modular Reactors – European Commission (europa.eu)

[9] Nuclear Trainees Program Junior | Carrière | ENGIE

[10]  Media Partnership – Powering Tomorrow, Inspiring Today: Nuclear Energy 2.0 – Euractiv

A propos de Hugo FERREIRA