La canicule marine : la grande (et catastrophique) oubliée

À mesure qu’avance l’été, les préoccupations sanitaires et environnementales liées à la canicule font leur place dans les médias. Moins visible mais au moins tout aussi catastrophique sur le plan environnemental, les canicules marines, elles, semblent loin des préoccupations principales alors même que l’océan brûle sous nos yeux.

Chacun sait combien les conséquences des canicules sont dramatiques, et les multiples incendies qui ravagent nos forêts le prouvent chaque été. Mais la canicule a aussi des effets sur nos océans, qui sont actuellement en train de bouillir.

Les scientifiques définissent les canicules marines comme des périodes pendant lesquelles la température des eaux marines “rejoint, dans une zone donnée et pour une période allant de quelques jours à plusieurs mois, les 10% des températures les plus élevées jamais enregistrées au cours des trente dernières années”. Conséquence logique du réchauffement climatique, on observe que 8 des 10 vagues de chaleur marines les plus extrêmes se sont produites lors de la dernière décennie.

Des canicules facilitées par le changement climatique

Aucun océan ni aucune mer n’est épargnée. Ces canicules marines concernent aussi bien l’océan Atlantique, que la mer Jaune ou Méditerranée, en passant par les rives australiennes. Comme le détaille un article scientifique de 2019 publié dans la revue Nature Communications, si plusieurs facteurs favorisent ces canicules marines en fonction des régions. L’article désigne notamment de potentiels affaiblissements temporaires des vents qui contribuent notamment à mélanger (et par conséquent à refroidir) les eaux de surface, des augmentations de la température de l’air, des diminutions de couvertures nuageuses, ou encore des modifications des courants marins. Mais tous ces facteurs, et la régularité à laquelle ils se produisent se trouvent néanmoins grandement facilités par le réchauffement climatique qui, comme le témoigne l’ingénieur de recherche à la Sorbonne et spécialiste du sujet Robert Schlegel dans le média Reporterre, rend les vagues de chaleur marines et océaniques “plus fréquentes, plus longues, et plus intense”.

Un rapport du GIEC alarmant

Dans son rapport de 2020 sur l’océan et la cryosphère, le GIEC révèle que les couches supérieures de l’océan ont déjà absorbé “plus de 90% de l’excédent de chaleur généré par les activités humaines”. En conséquence, depuis 2019, les eaux de surface se sont en moyenne réchauffées de 0,15°C par décennie. Avec les canicules marines qui s’y ajoutent, l’océan n’aura jamais été aussi chaud pendant si longtemps. En effet, si des vagues de chaleur ont historiquement toujours existé, elles étaient, avant la révolution industrielle, un phénomène qui restait rare, et bien souvent provoqué par des conditions météorologiques exceptionnelles. Toujours pour Reporterre, Robert Schlegel explique que ces vagues de chaleur “épousaient une forme de cercle, et restaient très localisées.” Désormais, “elles commencent à ressembler à une toile d’araignée”, se répandant maintenant sur l’ensemble de l’océan.

Selon le rapport du GIEC, en un siècle, la durée des canicules marines a connu une augmentation de 54%, et entre 84 et 90% de ces augmentations sont attribuables au réchauffement climatique. Plus alarmant encore, selon les projections des scientifiques, leur fréquence sera multipliée par 50 si nos émissions continuent de croître, et par 20 si elles déclinent continuellement pour être nulles d’ici 2100.

Des conséquences désastreuses pour la planète entière

Une évolution fidèle à celle des projections du GIEC serait sans nul doute dévastatrice pour les écosystèmes marins, en témoigne l’écologue de la Marine Biological Association, Dr Dan Smale : « Les espèces marines ont évolué pendant des millions d’années pour occuper des fenêtres thermiques spécifiques. Lorsque ces seuils de température sont dépassés, cela peut générer un stress important, des échecs reproductifs, voire des mortalités massives, avec des implications pour l’ensemble de la chaîne alimentaire et des écosystèmes touchés.”

Des canicules marines dévastatrices pour l’environnement et la biodiversité. Ce sont les mêmes conséquences que prévoit “avec un haut degré de confiance” le rapport du GIEC, alors même que les scénarios climatiques prévus il y a une trentaine d’années se réalisent. Ainsi, sans réduction drastique et immédiate des émissions de gaz à effet de serre afin de limiter un réchauffement catastrophique des eaux, certaines parties de nos océans pourraient devenir des déserts, sans qu’aucune espèce vivante ne puisse plus y vivre. Si certaines auront la possibilité de se déplacer, avec les conséquences qu’un tel déplacement emportera, d’autres espèces se trouveront incapables de fuir un tel stress thermique et seront amenées à disparaître. C’est notamment déjà le cas des végétaux. Ainsi, après la canicule marine de l’an dernier dans la Méditerranée, plus de 90% des coraux gorgones rouges ont disparu entre 10 et 30 mètres de profondeur.

Le biologiste marin Raphael Seguin alerte : “Le rythme de réchauffement est si rapide que l’adaptation est très compliquée. Cela pourrait produire des effets cascades, puisque le plancton n’aura plus rien à manger, les invertébrés et les poissons non plus”. Les équilibres marin mais également les zones de pêche et les communautés en bénéficiant pourraient donc rapidement être bouleversés.

Plus encore, les conséquences mortifères des canicules marines ne s’arrêtent pas aux océans. En effet, le rôle de régulateur des océans, véritable puits de carbone, s’en trouve gravement perturbé. En témoigne la tempête Bret en Martinique : en plus de modifier le déplacement de certaines espèces, de telles canicules provoquent également des ouragans, tempêtes et autres cyclones.

En d’autres termes, forêts comme océans : “la planète brûle et nous regardons ailleurs”.

 

Sources :
– Rapport spécial du GIEC, “L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatoque“, GIEC, 30 juin 2020 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf
– Neil J. Holbrook, Hillary A. Scannell, Alexander Sen Gupta, Jessica A. Benthuysen, Ming Feng, Eric C. J. Oliver, Lisa V. Alexander, Michael T. Burrows, Markus G. Donat, Alistair J. Hobday, Pippa J. Moore, Sarah E. Perkins-Kirkpatrick, Dan A. Smale, Sandra C. Straub & Thomas Wernberg, “A global assessment of marine heatwaves and their drivers“, Nature Communications, 14 June 2019 : https://www.nature.com/articles/s41467-019-10206-z
– Alban Leduc, “Canicules marines : de quoi s’agit-il ?“, Vert, 28 juin 2023 : https://vert.eco/articles/canicules-marines-de-quoi-sagit-il
– Julie Renson Miquel, “Martinique : “Sans la canicule marine, la tempête Bret n’aurait pas exist锓, Libération, 23 juin 2023 : https://www.liberation.fr/environnement/climat/martinique-sans-la-canicule-marine-la-tempete-bret-naurait-pas-existe-20230623_ZCYW42ONCJH6VHQR4QA25RGCFI/
– Hortense Chauvin, “Les canicules marines, une hécatombe sous l’océan“, 27 juin 2023, Reporterre : https://reporterre.net/Les-canicules-marines-une-hecatombe-sous-l-ocean 
– Paul Quinio, “Canicules marines : l’océan brûle et nous regardons ailleurs“, 23 juin 2023, Libération