Cela fait maintenant deux ans et sept mois que les forces armées de la Fédération de Russie ont lancé leur invasion à grande échelle du territoire souverain de la République d’Ukraine. Cela devait être une guerre éclair, une opération surprise rapide conclue en peu de temps. Mais l’Ukraine tient bon : l’offensive initiale russe est un échec, et le conflit se transforme en une terrible guerre d’attrition. Face à son incapacité à faire plier le pays militairement, le Kremlin décide alors de le rendre inhabitable. Les bombes russes tombent sur les bâtiments civils tels que les immeubles d’habitation, les hôpitaux, les écoles, les silos à grains et les centrales électriques. Les infrastructures énergétiques sont particulièrement visées. Entre 2022 et 2024, plus de la moitié de ces équipements ont été ciblés par la Russie.[1]
Une stratégie de terreur énergétique
Parmi les exemples marquants d’attaques sur des infrastructures énergétiques, nous pouvons mentionner le cas de la centrale de Zaporijjia, la plus puissante centrale nucléaire d’Europe. En mars 2022, des troupes russes venues de Crimée bombardent la centrale, déclenchant un incendie. Elles prennent le contrôle de la centrale, retenant son personnel captif. Mais les bombardements aux alentours de la centrale continuent, et l’alimentation des systèmes de refroidissement de la centrale est fréquemment impactée. En août, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique souligne un risque réel de « catastrophe nucléaire », déclarant devant l’ONU que « l’heure est grave », avant de rendre un rapport réclamant la mise en place d’une zone de sécurité autour de la centrale. Cette crise provoquera de vives réactions médiatiques et politiques.[2]
En juin 2023, les Russes attaquent le barrage hydroélectrique de Kakhovka, qui sert de réservoir de refroidissement pour la centrale de Zaporijjia, qui voit donc ses réserves d’eau baisser dangereusement. Suite à la rupture du barrage provoquant des inondations, des dizaines de milliers d’habitants perdent leur foyer, tandis que des millions sont privés d’accès à l’eau potable dans les régions de Kherson, Mykolaïv, Dnipropetrovsk, Zaporijjia, voire même en Crimée. 150 tonnes de carburant, pétrole et produits chimiques se répandent dans les inondations.[3] La centrale hydroélectrique DniproHES, la plus grande du pays, a également été la cible d’attaques.[4]
Et l’impact des destructions russes ne s’arrête pas là. Kakhovka, Burshtyn, Ladyzhyn, Trypilska, Zmiivska… La liste des centrales thermiques ou hydroélectriques détruites est longue, sans compter celles capturées par l’ennemi.[5] En tout, c’est plus de 60 % de la capacité de production d’électricité de l’Ukraine qui a été détruite depuis le début de l’invasion ; dans certaines localités, l’électricité est rationnée à 4 heures par jour.[6] Même la tristement célèbre centrale de Tchernobyl, heureusement à l’arrêt, s’est retrouvée au cœur du conflit lorsqu’elle fût occupée par les Russes en 2022 ; notons que lors de cet épisode, l’envahisseur jugea bon de creuser des tranchées à même le sol radioactif de la « Zone d’exclusion », provoquant des syndromes d’irradiation chez plusieurs soldats et même un décès.[7]
Par ses attaques répétées des infrastructures énergétiques ukrainiennes, l’armée russe cherche manifestement à instiller la peur et le désespoir en privant les civils ukrainiens de chauffage, d’électricité et d’eau, dans un pays où l’hiver est implacable. Amnesty International a d’ailleurs fortement condamné ces attaques. Selon l’ONG, « Le moral de la population civile n’est pas un objectif légal, et mener ces attaques dans le seul but de terroriser les civils constitue un crime de guerre ».[8]
La riposte ukrainienne : cibler l’effort de guerre à travers les infrastructures énergétiques russes.
Si les infrastructures ukrainiennes ont été jusque-là au centre du conflit, le pays a riposté à plusieurs reprises en visant des infrastructures énergétiques russes. Ce fut notamment le cas lors du sabotage controversé du réseau gazier Nord Stream, dont l’enquête a récemment révélé des suspects ukrainiens, bien qu’il semble que les auteurs responsables aient agi indépendamment du contrôle de l’État.[9] Depuis 2023, les attaques ukrainiennes se sont aussi multipliées contre les terminaux gaziers russes, dépôts de carburant et raffineries de pétrole. Dans sa défense contre l’invasion provoquée par son voisin, les frappes contre ce genre d’installations permettent d’enrayer l’effort de guerre russe, dont 45 % du budget fédéral provenait des revenus du pétrole et du gaz naturel en 2021, et de diminuer les approvisionnements militaires en carburants pour l’armée du Kremlin.
Ainsi, les raffineries de Touapsé, Volgograd, les terminaux de Oust-Louga et d’autres installations ont été la cible d’attaques de drones explosifs kamikazes ukrainiens. Ces attaques, parfois en profondeur dans le territoire de la Fédération de Russie, permettent également aux Ukrainiens de faire une démonstration de leur capacité militaire pour rassurer leurs alliés.[10] Récemment, c’est le dépôt de carburant de Proletarsk qui a été touché, brûlant pendant deux semaines avant que les pompiers ne parviennent finalement à maîtriser l’incendie lundi dernier.[11]
L’armée ukrainienne a par ailleurs lancé depuis maintenant un peu plus d’un mois une surprenante incursion militaire en territoire russe, dans la région de Koursk. L’avancée impressionnante des forces ukrainiennes semble notamment aujourd’hui se poursuivre vers la centrale nucléaire russe de Kourtchatov, inquiétant les forces russes qui s’empressent de construire des lignes de défense dans la région.[12]
A ce terme de la guerre, les enjeux énergétiques font, sans équivoque, partie intégrante des stratégies militaires des deux pays belligérants. Les destructions des infrastructures énergétiques et leurs conséquences sur la population civile ukrainienne doivent donc être connues de tous, tout particulièrement maintenant alors que l’hiver approche. Le soutien de l’Union européenne et des pays alliés ne doit pas faiblir, sur le terrain de l’énergie comme sur les autres aspects. Mais malgré ces incessantes attaques, le peuple d’Ukraine continue d’impressionner le reste du monde par sa résilience, son courage et sa détermination farouche, alors que selon les sondages 80 % d’entre eux voient leur futur comme étant prometteur.[13]
[1] https://time.com/7008613/ukraine-russia-power-sector-frontline/
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucl%C3%A9aire_de_Zaporijjia
[3] https://time.com/7008613/ukraine-russia-power-sector-frontline/
[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/26/guerre-en-ukraine-la-russie-multiplie-les-frappes-sur-les-infrastructures-energetiques-de-kiev_6224279_3210.html
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_power_stations_in_Ukraine
[6] https://time.com/7008613/ukraine-russia-power-sector-frontline/
[7] https://www.telegraph.co.uk/world-news/2022/04/01/russian-soldier-dies-radiation-poisoning-chernobyl/
[8] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/10/ukraine-russian-attacks-on-critical-energy-infrastructure-amount-to-war-crimes/
[9] https://www.france24.com/fr/europe/20240814-sabotage-de-nord-stream-la-piste-ukrainienne-se-confirme-un-mandat-d-arr%C3%AAt-%C3%A9mis-par-l-allemagne
[10] https://observers.france24.com/fr/europe/20240223-enquete-ukraine-russie-infrastructures-energetiques-gaz-petrole-drones-incendies
[11] https://www.themoscowtimes.com/2024/09/02/firefighters-extinguish-oil-depot-blaze-in-southern-russia-2-weeks-after-drone-strike-a86221
[12] https://www.youtube.com/watch?v=-7n8MIhpdUI&t=206s
[13] https://time.com/7008613/ukraine-russia-power-sector-frontline/