Le développement de petits réacteurs modulaires : quels changements vis-à-vis du nucléaire de grande puissance ?
Dans son discours de Belfort[1] le 10 février 2022, le président de République, Emmanuel Macron, a affirmé sa volonté de relancer la filière nucléaire, notamment en lançant un grand programme de construction de nouveaux réacteurs de grande puissances dits EPR2. Six de ces réacteurs doivent être construits pour une mise en service à horizon 2035. Cependant, d’autres types de réacteurs sont mis sur le devant de la scène, il s’agit des petits réacteurs modulaires dont les promesses sont tout à fait intéressantes.
Des petits réacteurs modulaires : caractéristiques générales
Outre la volonté de perpétuation et de renforcement du nucléaire de grande puissance, le Président Macron a ainsi affirmé sa volonté de développer des réacteurs de plus petite puissance, dits réacteurs modulaires, et a fixé l’objectif d’un prototype en France d’ici à 2030.
Ces SMR sont des réacteurs de plus petite taille, d’une puissance moindre (souvent inférieur à 300MWe) et dont l’un des atouts majeurs serait notamment la modularité. Cette dernière se caractériserait par la possibilité d’une production en usine des réacteurs, à contrario d’une construction au cas par cas et sur site pour le nucléaire de grande puissance. Le développement des SMR mise ainsi sur des économies de série plutôt que sur des économies d’échelle, classiquement mises en avant dans le nucléaire de grande puissance.
Ces réacteurs permettent aussi de s’adapter aux besoins et d’assurer une certaine flexibilité par le couplage de plusieurs réacteurs qui peuvent être arrêtés ou démarrés, voire modulés (augmenter ou diminuer la puissance demandée) suivant les besoins en énergie.
Enfin, les SMR promettent un rôle réduit de l’opérateur humain dans le cadre du bon fonctionnement du réacteur, via notamment la garantie d’une sûreté dite passive[2] et le développement d’un contrôle-commande centralisé et entièrement à distance.
Subvenir à de nouveaux besoins, pas seulement électriques
Les réacteurs SMR sont pris en compte dans peu de scénarios énergétiques. Néanmoins, le scénario de RTE N03[3] les intègre dans le cadre d’un mix électrique de production incorporant 50% de nucléaire, soit 50GW à horizon 2050, sur la base de la trajectoire de référence pour la consommation. En plus de la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels et d’un rythme de construction soutenu des EPR2, il est prévu de développer des réacteurs SMR pour quelques GW (4GW). Les SMR sont ici vus comme un complément au développement des EPR2, notamment via des capacités de supply chain complémentaires et des temps de construction réduits. De plus, RTE identifie deux logiques d’implantation :
-l’utilisation de sites nucléaires préexistants.
-une implantation dans le cadre de boucles locales, en zones urbaine ou industrielle.
Cependant, le scénario de RTE ne prend pas en compte les multiples besoins auxquels les SMR proposent de répondre. En effet, nombre de réacteurs se positionnent sur de nouvelles utilisations dont la production de chaleur, la désalinisation, la production d’hydrogène via un électrolyseur ou encore une production électrique hors réseau pour des communautés isolées. Ces nouveaux réacteurs présentent l’avantage, pour ces différentes utilisations possibles, de pouvoir être installés au plus près du besoin en raison de leur design intégré et leur puissance moindre.
Il convient de noter que plusieurs modèles de réacteurs SMR sont aujourd’hui à l’étude pour des utilisations différentes. Plusieurs pays déjà nucléarisés se sont déjà positionnés sur le marché parmi lesquels les Etats-Unis[4], le Canada, la Chine ou encore la Russie.
Distinction SMR et AMR : vers une rupture du paradigme pour le combustible nucléaire ?
Mise en avant récemment par la SFEN (Société française d’énergie nucléaire)[5], la distinction entre les réacteurs dits SMR (Small Modular Reactors) et AMR (Advanced Modular Reactors) est louable.
Dans un premier cas, les SMR recouvrent l’ensemble des réacteurs nucléaires présentant une technologie similaire aux réacteurs à eau pressurisée (REP) qui constituent l’entièreté du parc nucléaire français et qui, par conséquent ne présente pas une rupture vis-à-vis du combustible. En effet, ces réacteurs SMR utiliseront le même type de combustible en uranium enrichi à l’origine de déchets de plus ou moins longue durée. Parmi les combustibles usés, le plutonium qui est un des produits de la fission est encore aujourd’hui peu exploité, bien que retraité et recyclé partiellement au sein de combustibles MOX[6] (Uranium et une part de plutonium). Les réacteurs SMR ne présentent alors pas de nouveautés par rapport à ces problématiques de combustible pour lequel la filière des réacteurs à eau pressurisée mise sur une optimisation du retraitement des combustibles usés. Le futur réacteur Nuward de EDF présente une technologie de ce type.
Réacteur Nuward (Source : EDF.fr)
Dans un second temps, les réacteurs dits AMR misent sur des technologies innovantes qui ont déjà pu être expérimentés en France, mais jamais exploités. Il s’agit des réacteurs de la filière rapide qui misent sur des neutrons dits rapides permettant de fissionner tous les noyaux lourds et non pas seulement fissiles. C’est notamment les start-up du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) qui misent sur ce type de réacteur et ce via différents procédés qui reposent sur un caloporteur sodium[7]. L’avantage de cette technologie est de pouvoir utiliser les combustibles usés, notamment le plutonium et ainsi assurer une surgénération[8]. La filière rapide permettrait alors de proposer un rendement jusqu’à 60 fois plus important que pour un réacteur classique[9].
Les réacteurs modulaires à neutrons rapides permettraient ainsi de proposer une véritable rupture quant à l’utilisation du combustible uranium dont les ressources mondiales sont limitées et pourraient être épuisées d’ici 200 ans, avec la trajectoire actuelle.
Points de vigilance
Beaucoup d’incertitudes demeurent encore aujourd’hui quant à ces réacteurs, notamment les différentes hypothèses d’utilisation, les questions associées à la réglementation applicable ou encore les questions de sûreté qui seront évidemment au centre même des réflexions pour la relance d’un nucléaire qui suscite toujours une certaine part d’incertitudes. Il est important de noter que le statut des INB (installations nucléaires de base) prévoit, à l’heure actuelle, une installation des SMR seulement dans le périmètre des centrales nucléaires déjà existantes[10]. Des évolutions quant à la législation applicable devront donc être faites pour envisager une installation sur de nouveaux sites.
L’introduction de réacteurs SMR au sein du nucléaire actuel français posera aussi la question de l’entrée de nouveaux acteurs privés dans une organisation du nucléaire déjà bien rodée, avec des rapports et des relations public-privé assez balisés.
[1]https://www.gouvernement.fr/upload/media/default/0001/01/2022_02_nucleaire_belfort.pdf
[2] La sûreté passive consiste à mettre en place des systèmes techniques qui, en opposition aux systèmes actifs, ne nécessitent pas d’apport d’énergie extérieur pour assurer leur fonctionnement. Il en existe déjà au sein des centrales nucléaires tels que les barres de contrôle ou les recombineurs d’hydrogène. La doctrine actuelle pour les futurs réacteurs est de mettre en place des systèmes passifs utilisant des phénomènes naturels comme la convection afin de pouvoir maintenir le réacteur dans état sûr pendant un certain temps sans intervention humaine (un délai d’environ 3 jours).
Pour plus de précisions, voir notamment : https://www.irsn.fr/sites/default/files/documents/expertise/rapports_expertise/IRSN_Reflexion-Systemes-Surete-Passifs_01-2016.pdf
[3] https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques
[4] Voir le projet Nuscale avec des réacteurs allant de 50, 60 à 77MW : https://www.nuscalepower.com/en
[5] https://www.youtube.com/watch?v=6nAh4B_EPbE
[6] https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/combustible-mox-france
[7] Voir les start-up, incubées au CEA, Hexana et Otrera
[8] On parle de réacteur surgénérateur lorsqu’il permet de produire plus de matières fissiles qu’ils n’en brûlent. Cf. https://laradioactivite.com/energie_nucleaire/lasurgeneration
[9] https://www.sfen.org/rgn/surgenerateur/
[10] LOI n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes