Le juge administratif ordonne à l’Etat de mieux protéger les dauphin contre les activités de pêche

Golfe de Gascogne : plus de 11.000 dauphins tués par des captures ...

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Par un arrêt rendu le 20 mars 2023 en formation de chambres réunies et publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a enjoint au gouvernement de prendre des mesures tendant à réduire la mortalité accidentelle de cétacés dans le Golfe de Gascogne. Suivant les conclusions de la rapporteuse publique présentées à l’audience en février, la juridiction administrative suprême a estimé que la protection de ces animaux était insuffisamment assurée par le ministère de la Mer et que la France méconnaissait ainsi tant sa norme suprême que ses engagements européens.

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Au début de l’année 2021, plusieurs associations de défense de l’environnement, dont la célèbre Fédération France Nature Environnement, avaient introduit des recours pour excès de pouvoir contre les refus implicites de la ministre de le Mer de prendre des actes réglementaires plus efficaces contre la pêche accidentelle de cétacés et leur échouage sur les rives du Golfe de Gascogne. L’une des requérantes, l’association Défense des milieux aquatiques, demandait également l’annulation de l’arrêté du 24 décembre 2020 par lequel la ministre de la Mer avait encadré les activités de pêche au bar, estimant que cet arrêté présentait des mesures insuffisantes.

Sur un plan purement procédural, ce contentieux a donné l’occasion au juge administratif de préciser les modalités d’application de l’article L. 911-1 du code du justice administrative. Ses dispositions lui permettent en effet d’enjoindre à l’administration de prendre une décision dans un sens déterminé. Le Conseil d’Etat en a profité pour indiquer que pour déterminer si une injonction devait être prononcée à la suite d’un refus implicite opposé aux requérants par l’administration, la légalité de la décision de refus devait être appréciée au regard des circonstances de faits et de droit prévalant au jour de la décision juridictionnelle. Il s’agit d’une réaffirmation de l’ambition du juge administratif d’octroyer un effet utile à ses décisions, pragmatique et concret pour les parties, y compris dans le contentieux de l’excès de pouvoir.

Sur le fond de l’affaire elle-même, les associations requérantes fondaient leurs recours sur trois corps de textes : le droit européen et notamment la directive habitats, la Constitution et plus précisément le principe de précaution tiré de l’article 5 de la Charte de l’environnement, et le code de l’environnement.

En l’espèce, si plusieurs moyens ont été écartés, les juges du Palais Royal ont tout de même relevé plusieurs illégalités liées à la carence de l’Etat dans la protection de l’écosystème marin. Tout d’abord, le Conseil d’Etat a jugé que l’obligation d’équipement en dispositifs de dissuasion acoustique pesant sur les bateaux de pêche, prévue par arrêté ministériel, était insuffisante dès lors que la capture accidentelle de cétacés pouvait résulter de la pêche au trémail ou au filet maillant. De facto, la Haute juridiction a considéré qu’ « en l’état des connaissances scientifiques, notamment en l’absence d’éléments scientifiques démontrant la capacité de ces dispositifs à atteindre, en conditions réelles, l’efficacité attendue, cette réglementation n’apparaît pas de nature à permettre de réduire les captures accidentelles à un niveau compatible avec le rétablissement d’un état de conservation favorable du dauphin commun ». Il en découle donc une méconnaissance du principe constitutionnel de précaution.

Ensuite, le Conseil d’Etat a relevé que les analyses menées par le gouvernement pour établir les zones de risques pour certaines espèces dans le Golfe de Gascogne étaient  lacunaires et que les mesures de conservation édictées n’étaient pas en adéquation avec les risques inhérents à l’activité de pêche dans ces zones. Il est notamment reproché au pouvoir réglementaire de ne pas avoir mis en œuvre une protection spécifique dans certaines zones du Golfe, comme une fermeture temporelle de la pêche. Il en résulte donc une violation de la directive européenne dite « habitats ».

Enfin, le gouvernement a été mis à mal s’agissant de l’efficacité du dispositif de suivi des captures accidentelles et des échouages de cétacés sur les plages du Golfe. Le Conseil d’Etat a en effet noté que les données présentées par l’Etat en la matière apparaissaient « manifestement sous-évaluées ». Il a précisé que malgré l’édiction de nouveaux arrêtés à la fin de l’année 2022, censés améliorer le dispositif défaillant, il était compétent pour sanctionner l’illégalité au jour où il statuait car les nouvelles mesures n’avaient de toute manière pas encore produit d’effet.

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En conséquence de tout ce qui précède, les associations ont obtenu d’une part l’annulation de l’arrêté du 24 décembre 2020 en ce qu’il comportait des mesures de protection insuffisantes ; d’autre part l’annulation des refus implicites qui résultaient du silence gardé par la ministre de la Mer sur leurs demandes tendant au renforcement des mesures d’encadrement de la pêche dans le Golfe de Gascogne. Pour donner plein effet à la censure de ces illégalités, le Conseil d’Etat a enjoint au gouvernement de prendre dans un délai de 6 mois des mesures supplémentaires à la fois contre l’incidence des activités de pêche dans le Golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés ; et en faveur d’une estimation plus précise du nombre de captures de petits cétacés.

 

Source : CE, 3ème et 8ème Chambres réunies, 20 mars 2023, n°449788, Rec.

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