Alors que les prix de l’électricité sur les marchés continuent de grimper, les associations de consommateurs craignent une augmentation de la population en situation de précarité énergétique. Quant aux fournisseurs d’électricité, le spectre de possibles faillites inquiète (en témoigne les faillites en cascade en Grande-Bretagne).

Le 16 mars 2022 , la CRE annonce le relèvement du volume de l’ARENH, ce qui n’est pas franchement du goût d’EDF (cf. infra).

I Qu’est-ce que l’ARENH ?

L’ARENH ou l’accès au nucléaire historique régulé est un mécanisme concurrentiel destiné à favoriser la pluralité d’acteurs sur le marché de la fourniture d’énergie. Instauré en réponse à la directive européenne sur l’ouverture des marchés de l’électricité (1996), il permet aux entreprises fournisseuses d’électricité, d’acheter à un prix fixe 25% de l’électricité d’origine nucléaire produite par l’opérateur historique français (EDF) via son parc historique de 58 réacteurs.

Les fournisseurs de tous horizons sont alors en mesure de proposer des tarifs compétitifs au consommateur qui bénéficie alors des investissements nationaux dans le nucléaire. En outre ce mécanisme temporaire a aussi pour but de “laisser du temps” aux fournisseurs alternatifs de constituer des unités de production et conserver des tarifs avantageux pour les consommateurs à l’échéance du mécanisme.

Il existe depuis 2011 (Loi NOME du 7 décembre 2010) et est appelé à disparaître en 2025. A l’origine, il a été conçu pour réduire le pouvoir de marché d’EDF sur le marché européen (le parc nucléaire ayant une capacité de production très conséquente, peu de fournisseurs dits “alternatifs” pouvaient rivaliser en matière de compétitivité-prix sur les tarifs de vente au consommateur). Le tarif ainsi que le volume de l’ARENH sont fixés par arrêté ministériel sur proposition de la CRE, ils sont calculés en fonction de 3 variables :

  • Les charges opérationnelles ;
  • Les investissements en maintenance et prolongation du parc actuel,
  • Les investissements passés.

La capacité d’ARENH atteindra 120 TWh au 1er avril 2022 (contre 100 TWh auparavant), le tarif est fixé à 46,20 €/MWh.

II Pourquoi relever le volume d’ARENH ?

A Les consommateurs, le bénéficiaire clé pour la CRE

La politique énergétique de la France est conditionnée notamment par deux impératifs listés à l’article 100-1 du Code de l’énergie : d’une part le maintien d’un prix de l’énergie compétitif et attractif et d’autre part la lutte contre la précarité énergétique (selon l’INSEE, un ménage qui dépense plus de 10% de son revenu dans les factures d’énergie est en situation de précarité énergétique).

B Les fournisseurs, la prévention des faillites en cascades

En Grande-Bretagne, ce ne sont pas moins de 28 fournisseurs – sur la cinquantaine existant selon l’Autorité britannique de l’énergie (Ofgem) – qui ont fait faillite(s). La faillite d’un fournisseur d’électricité signifie que l’entreprise n’a plus les moyens d’acheter des capacités sur le marché de détail et ne peut donc plus honorer ses contrats conclus avec les consommateurs.

En France, un seul cas s’est produit (Hydroption en décembre 2021). La loi Energie Climat du 8 novembre 2019 oblige EDF opérateur historique (assortis de RTE pour le transport et d’ENEDIS pour la distribution) à reprendre les contrats d’un fournisseur défaillant. EDF est alors tenue d’assurer la fourniture d’électricité aux consommateurs.

En relevant le volume d’ARENH, l’Etat permet à un plus grand nombre de fournisseurs de bénéficier d’un tarif avantageux. Avec des prix de marchés allant actuellement jusqu’à plusieurs centaines d’euros du MWh, l’Etat entend stabiliser son marché intérieur de la fourniture et protéger les consommateurs.

III La réaction sans équivoque d’EDF

Le mécanisme de l’ARENH a toujours été vécu par EDF comme une sanction. Avec l’ARENH, “EDF n’est jamais gagnant et porte tous les risques” selon le PDG J-B. Lévy le 13 novembre 2019 lors de l’audition relative au projet “Hercule”.

Les fédérations syndicales du groupe se sont aussi prononcées le 10 février 2022 lorsque le Conseil Supérieur de l’Énergie s’est positionné en défaveur du relèvement du volume d’ARENH. Ces dernières parlent de “casse du service public”. En effet, l’un des effets adverses de l’ARENH est que non seulement le tarif fixé peut se révéler inférieur aux coûts réels du parc nucléaire (toutefois on ne saurait imputer à l’ARENH le manque d’engagement politique sur la politique nucléaire de ces dernières décennies, empêchant un renouvellement actif du parc) mais il peut exister un “effet d’aubaine” pour les fournisseurs alternatifs.

En théorie (cf. supra), l’ARENH lève une barrière à l’entrée sur le marché, une entreprise, peut, avec de faibles (voire inexistants) moyens de production, acheter et vendre des capacités d’électricité à destination des consommateurs finaux (particuliers ou entreprises). Elle n’a pas l’obligation d’instaurer de nouveaux moyens de production (construction de parcs éoliens, centrales solaires par exemple pour s’assurer son approvisionnement).

On peut donc observer la multiplication des fournisseurs alternatifs, très dépendants de la volatilité des prix de marché de l’énergie. L’ARENH est alors un moyen sûr et peu coûteux de s’assurer un approvisionnement en électricité. En période très haussière, l’ARENH est perçue alors par le groupe comme un “pillage” des capacités de production d’EDF par d’autres opérateurs (alternatifs et pétroliers).

Malgré l’opposition d’EDF, c’est l’exigence du maintien du prix de l’énergie à un niveau acceptable pour les consommateurs qui cl le débat.

Le Conseil d’État, dans une décision du 5 mai 2022 a rejeté le référé formé par les syndicats et actionnaires d’EDF à l’encontre de l’arrêté du 11 mars 2022 au motif que “dans un contexte de forte hausse des prix sur le marché de gros de l’électricité, à l’origine d’importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, le juge des référés estime que la mesure contestée présente dans ces conditions un intérêt public“.

Sources :

– CRE, Attribution des volumes d’ARENH supplémentaires, 16/03/2022 : https://www.cre.fr/Actualites/attribution-des-volumes-d-arenh-supplementaires-a-compter-du-1er-avril-2022

– Connaissance des énergies, Histoire de l’ARENH, 2019 : https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/histoire-de-larenh-acces-regule-lenergie-nucleaire-historique

– La Tribune, Distribution d’énergie, Bulb s’est noyé avec la hausse des prix, 23/01/2022 : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/distribution-d-energie-bulb-s-est-noye-avec-la-hausse-des-prix-902530.html

– Opéra énergies, Sans réforme de l’ARENH, EDF ne pourra pas avoir de second souffle selon son PDG, 13/11/2019 : https://media.opera-energie.com/sans-reforme-de-larenh-edf-ne-pourra-pas-avoir-de-second-souffle-selon-son-pdg/

– Fédérations syndicales, Communiqué de presse, 10/02/2022 : https://cfe-energies.com/wp-content/uploads/2022/02/10022022-CP-les-syndicats-saluent-lavis-du-Conseil-Superieur-de-lEnergie-sur-le-volume-AReNH.pdf

– Conseil d’État, décision n° 462841 du 5/05/2022

A propos de Eva-Luce BAILLY